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Accord franco-marocain sur les mineurs : « Un enfant ne devrait jamais être éloigné de force ! »

Alors que le texte de l’accord franco-marocain facilitant le retour des mineurs isolés signé le mois dernier n’a toujours pas été rendu public, un document officiel vient de fuiter et d’être relayé par une association. L’un de ses juristes dénonce de possibles « mesures autoritaires d’éloignement ». Le ministère de la Justice, interrogé par InfoMigrants, s’explique.

À quoi va ressembler l’accord franco-marocain sur les mineurs isolés signé par Paris et Rabat le 7 décembre ? Plus d’un mois après la ratification, le texte de l’accord n’a toujours pas été rendu public et son contenu prête à de nombreuses spéculations : des enfants marocains pourront-ils être expulsés par la force ? Quelles seront leurs conditions de vie à leur retour au Maroc ? Quand le texte entrera-t-il en vigueur ?

Après plusieurs demandes de clarification auprès du Garde des Sceaux restées sans réponses, le Gisti, association d’aide juridique aux exilés, affirme avoir obtenu, mardi 12 janvier, un document intitulé « Schéma de procédure pour la prise en charge de mineurs non accompagnés marocains », élaboré en octobre 2019 et qui semble fixer le cadre juridique de la collaboration entre les deux pays.

Ce document est « extrêmement inquiétant à bien des égards », souligne le Gisti. D’abord parce qu’il prévoit d’organiser le retour de mineurs au Maroc sans leur consentement ni demande de la famille, avec un usage de la force envisageable. « Ce recours devra être limité aux situations les plus graves et lorsqu’il n’existe pas de perspective de convaincre le mineur [de retourner au Maroc], ni de possibilité pour le service auquel l’enfant est confié de procéder autrement », peut-on lire dans le document obtenu par le Gisti. 

« On est en train d’inventer une mesure d’éloignement spéciale pour les mineurs »

« Un mineur ne devrait jamais être éloigné de force ! », proteste Jean-François Martini, juriste au Gisti, joint par InfoMigrants. « Sous couvert d’une coopération ‘d’assistance éducative’, on est en train d’inventer, de façon dissimulée, une mesure d’éloignement spéciale pour les mineurs étrangers. Si elle ne cible que les Marocains pour le moment, on peut craindre qu’elle soit ensuite étendue à d’autres pays », poursuit-il, dénonçant une « mesure autoritaire d’éloignement ».

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En face, le ministère de la Justice préfère parler de « placement transfrontalier de mineur » et se défend, arguant que ce schéma de procédure franco-marocain s’inscrit dans le cadre de la Convention du 19 octobre 1996 relative à la protection de l’enfance qui elle-même fait référence explicitement à la Convention internationale des droits de l’enfant. « Tout cela se fait à droit constant, on n’invente rien », assure la chancellerie, contactée par InfoMigrants. « L’idée de ce schéma de procédure est simplement de définir les modalités pratiques pour que le juge des enfants puisse préparer sa décision, la prendre et en assurer son exécution. Il s’agit donc, si l’intérêt supérieur de l’enfant le requiert, d’organiser la prise en charge de celui-ci au sein d’une institution de protection de l’enfance de son pays d’origine ou auprès de sa famille. »

La chancellerie assure qu’aucune disposition spécifique dans le droit ni aucune norme ne sont créées avec cet accord franco-marocain et que l’on demeure dans le domaine de l’assistance éducative. « Il y a donc les mêmes garanties : le mineur a droit à un avocat et il possède des voies de recours. Quant au juge, bien qu’il puisse décider que l’absence de consentement ne fait pas obstacle [au renvoi], il cherchera toujours à obtenir l’adhésion du mineur et ne statuera qu’en fonction de l’intérêt supérieur de celui-ci. »

« Pour une majorité de jeunes, la prise en charge est satisfaisante »

Outre la question des éloignements, le Gisti fait également part de son inquiétude quant à la possibilité pour le parquet français de dénoncer aux autorités marocaines, « aux fins de poursuite », les faits commis en France par ces enfants. « Une fois encore, il est très gênant d’utiliser un accord d’assistance éducative pour s’octroyer le droit de dénoncer des faits commis sur notre territoire en se reposant sur la justice marocaine pour prendre des dispositions », commente Jean-François Martini. « Que va en faire le Maroc ? Quelles sont les peines encourues ? », interroge-t-il.

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Sur ce point, le ministère de la Justice se veut une nouvelle fois rassurant : « Il existe des conventions avec le Maroc permettant de régler les questions de poursuites pénales, les choses sont bien encadrées. Le schéma de procédure s’inscrit, lui, dans une démarche de protection de l’enfance. Il est néanmoins préconisé que les procédures pénales en cours soient purgées ou classées avant le placement. »

Des garanties trop minces pour le Gisti qui pose la question de ce que le Maroc a à offrir en matière de protection de l’enfance. « On sait par exemple que le juge marocain des enfants n’intervient qu’en matière pénale, donc comment coopérer avec son homologue français sur l’assistance éducative ? Comment peut-on être sûr des conditions de retour au pays ? », demande Jean-François Martini qui reproche au gouvernement son manque de transparence sur le sujet et l’absence de concertation.

Le Maroc, tout comme la France, est signataire de la Convention du 16 octobre 1996, « il y a donc des garanties », rétorque la chancellerie. En outre, « si le contentieux de la protection de l’enfance relève du code pénal au Maroc, le juge des enfants marocains est bien un juge spécialisé, conformément aux normes internationales, qui traite à la fois du civil et du pénal pour les mineurs ». Elle précise également que si le texte de l’accord n’a pas été rendu public c’est parce qu’il n’a pas encore été adressé aux magistrats qui recevront une note précise à ce sujet prochainement. Cet accord, poursuit-elle, ne concerne que le Maroc et la possibilité de l’élargir à d’autres pays « n’est pas évoquée à ce stade ».

« Des enfants des rues livrés à eux-mêmes depuis le Maroc »

Selon le rapport d’activité de la mission mineurs non accompagnés, 16 760 personnes déclarées mineures non accompagnées entre le 1er janvier et le 31 décembre 2019 ont été portées à la connaissance de la cellule. En comparaison, elles étaient 8 054 en 2016. Parmi eux, les jeunes Marocains sont de plus en plus nombreux et attirent particulièrement l’attention des associations et des pouvoirs publics ces dernières années. En cause : de nombreux cas de délinquance, d’agressions et d’addiction aux drogues ont été relevés.

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Si d’autres pays européens comme l’Espagne, la Suède, l’Italie, la Belgique connaissent déjà le phénomène de ces jeunes en errance, « pour la France c’est un public nouveau » depuis environ 2017, expliquait à l’époque à InfoMigrants Olivier Peyroux, de l’association Trajectoires qui tente de leur venir en aide. « Ils sont très fuyants. Nous savons peu de choses sur eux : seulement que ce sont des enfants des rues depuis longtemps. Ils ne sont pas devenus délinquants en exil. Déjà au Maroc, ils étaient livrés à eux-mêmes. »

En 2015, l’Observatoire national des droits de l’enfant estimait à 25 000 le nombre de mineurs isolés et sans-abri au Maroc, dont un quart à Casablanca. Ils ont généralement pris la fuite ou été chassés de leur foyer après un drame familial. Ils sont alors nombreux à converger vers les villes pour survivre ou même à tenter leur chance en Europe où ils deviennent des proies faciles pour les réseaux de trafiquants en tous genres.

Sources : InfoMigrants : informations fiables et vérifiées pour les migrants – InfoMigrants

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