Ahmad, Amal, Mohammed Youssouf ou Hakim : tous espèrent bientôt traverser la Manche et atteindre enfin, après des mois voire des années sur la route de l’exil, le Royaume-Uni. Ni la militarisation toujours plus accrue de la frontière, ni la perspective d’un transfert au Rwanda, ni le naufrage meurtrier survenu il y a un an, ne font vaciller leur détermination. Celle-ci est au contraire décuplée par le « harcèlement » policier et les conditions de vie désastreuses dans leur camp de Loon-Plage, à Grande-Synthe.
Accroupi à même la terre, un jeune exilé, emmitouflé dans un épais gilet noir, ouvre l’un des quatre petits robinets dorés devant lui. Dans un geste rapide, il s’asperge le visage d’eau glacée, puis passe la main dans ses cheveux bruns. Derrière lui, une petite file s’est constituée. Tous attendent de faire leur toilette, malgré le froid mordant. Ce matin de novembre, près de Dunkerque, les rayons du soleil ne parviennent pas à percer le ciel voilé.
C’est pourtant à cet endroit, sur un terrain situé au beau milieu d’une zone industrielle, que vivent actuellement près de 400 migrants, en attendant de traverser la Manche pour atteindre l’ultime étape de leur exil, le Royaume-Uni. En contre-bas d’une route nationale, longeant une voie de chemin de fer, le terrain n’est plus, après plusieurs jours de pluie, qu’un amas de boue. Les caddies traînés par les exilés s’embourbent. Pour pouvoir circuler dans le camp, certains portent des bottes en caoutchouc fournies par les associations. Les tentes qui leur servent d’abri sont, elles, disposées de part et d’autre, là où la terre est un peu plus sèche.

C’est dans ce lieu de vie informel à mi-chemin entre les communes de Loon-Plage et de Grande-Synthe que survivaient, il y a un an tout juste, certaines des victimes du naufrage meurtrier du 24 novembre 2021. Cette nuit-là, 33 personnes, dont sept femmes, un adolescent de 16 ans et une enfant de 7 ans, avaient pris la mer sur un petit canot pneumatique, direction l’Angleterre. Trois heures après leur départ, l’embarcation a chaviré. Durant des heures, les exilés ont tenté d’alerter les secours français. Leurs appels sont restés sans réponse. C’est un bateau de pêche, passé par hasard dans la zone, qui découvrira plus tard dans la journée une dizaine de leurs cadavres. Seules deux personnes ont pu être secourues à temps. Vingt-sept sont mortes et quatre sont toujours portées disparues.
En réponse à ce drame, les autorités françaises ont, une fois de plus, renforcé la surveillance de la frontière, en déployant notamment un avion de l’agence de surveillance des frontières européennes (Frontex). Le Royaume-Uni, lui, fait tout pour dissuader les migrants de venir sur son territoire. En les menaçant, par exemple, de traiter leur demande d’asile très loin du pays, au Rwanda. La faisabilité du projet mis sur pied par l’ancienne ministre de l’Intérieur Priti Patel est actuellement discutée par la justice britannique. Londres et Paris se sont aussi entendus, le 14 novembre, sur un nouvel accord migratoire. Celui-ci prévoit entre autres le renforcement des effectifs policiers – y compris britanniques – sur les plages françaises.
Le choix de la répression, appliqué dans la Manche depuis des années, se heurte pourtant à la réalité des chiffres : malgré la militarisation de la frontière, les migrants sont toujours plus nombreux à gagner le Royaume-Uni. D’après le ministère de la Défense britannique, près de 42 000 personnes ont atteint les côtes britanniques à bord de petits bateaux jusqu’ici cette année. Contre 28 526 pour toute l’année 2021.
« Harcèlement » policier
L’inefficacité de ces mesures se vérifie aussi dans les camps informels de la région, comme celui de Loon-Plage. Actuellement, près de 400 personnes s’entassent à cet endroit. Selon les associations, certaines semaines, plus de 700 migrants originaires du Kurdistan irakien, d’Afghanistan, du Soudan ou de Somalie y sont installées. Et ce, malgré un « harcèlement » policier constant, dénonce une bénévole de l’association Help for Dunkerque, qui souhaite garder l’anonymat. « La police vient toutes les semaines, en général les mardi, mercredi ou jeudi, tôt le matin », affirme-t-elle. « Ils confisquent les tentes des occupants et les poussent sur la route. À 13h, tout le monde est dispersé. Puis le camp se reforme presque aussitôt ».
Sources : www.infomigrants.net