Naufrage à Crotone, en Italie : « Je suis venu pour aider et j’ai vu ma belle-sœur parmi les victimes «
Gul Agha Djamshidi est afghan et vit en Italie. Lundi 27 février, au lendemain du naufrage d’une embarcation de migrants au large de Crotone, en Calabre, ce réfugié, père de famille, a sauté dans un train pour prêter main forte aux sauveteurs et aux survivants, en majorité afghans. C’est par hasard qu’il a découvert qu’une partie de sa famille figurait parmi les victimes. Témoignage.
« J’ai appris le naufrage du bateau de migrants au large de Crotone, alors que j’étais chez moi, dimanche [26 février]. Les images des débris de l’embarcation sur la plage tournaient à la télé. J’étais vraiment choqué. En écoutant les médias, j’ai vite compris que le bateau comptait de nombreux Afghans. J’ai immédiatement décidé de me rendre sur les lieux.
Je me suis dit que je pourrais aider les familles et les proches des survivants parce que je parle persan et italien. Les rescapés ne parlent pas l’italien. La communication avec les sauveteurs et les autorités allait sûrement être compliquée.
Le naufrage a eu lieu dans la nuit du samedi au dimanche 26 février au large de la Calabre. Il a coûté la vie à au moins 70 personnes, dont de nombreux mineurs. L’embarcation transportait environ 200 personnes et s’est brisée sur un banc de sable à quelques mètres de la côte, plongeant ses occupants dans les eaux glacées d’une mer très agitée.
La plupart des personnes décédées ou portées disparues venaient d’Afghanistan. D’autres étaient originaires du Pakistan, d’Iran, de Somalie et de Syrie, selon les services de secours.
« On m’a dit que son corps avait été repêché dans l’eau »
J’habite à Tarente avec ma famille, à plus de quatre heures de route de Crotone. J’ai pris le train le lendemain du naufrage, le lundi 27 février. Sur le trajet, je pensais au sort des victimes et à leurs familles, j’étais très triste. J’ai aussi pensé à mon cousin Wazir. Je savais que, comme beaucoup d’autres Afghans, il avait décidé d’aller en Italie depuis la Turquie. Mais je ne me doutais pas…
Quand je suis arrivé, je suis allé à la cellule de crise co-gérée par la Croix-Rouge et la police italienne. De nombreux Afghans étaient déjà là. Certains venaient d’autres villes d’Italie, comme moi. Et d’autres étaient arrivés le jour même depuis des pays voisins. Ils voulaient connaître le sort de leurs proches.

Mon premier réflexe a été d’aller voir les photos des victimes [exposées par les autorités pour faciliter les identifications]. C’est là que j’ai reconnu Soudina, la femme de Wazir. Au début, je n’y ai pas cru. Je me suis dit que je me trompais… Mais c’était elle.
On m’a dit que son corps avait été repêché dans l’eau.
J’ai alors cherché des informations sur Wazir et sur leurs deux enfants, Mehrsana, âgée de 3 ans, et leur fils Mortaza, qui a 7 ans. Ils étaient forcément à bord du bateau. Mais je n’ai rien trouvé. Ils ne faisaient pas partie des rescapés. Comme des centaines de familles, je cherche à connaître leur sort, mais je n’ai toujours pas de nouvelles.

« Mon cousin avait demandé l’asile en Italie depuis l’Iran. Il ne l’a pas obtenu »
Wazir vivait en Iran avec Soudina et leurs deux enfants. Ils ont fui l’Afghanistan après la chute du gouvernement, en août 2021. Ils ont fait des démarches pour venir en Europe, mais ça n’a pas marché. En Afghanistan, Wazir était pourtant fonctionnaire dans le domaine de la sécurité. Il a été sérieusement menacé par les Taliban. Malgré ça, il n’a pas réussi à obtenir l’asile pour lui et sa famille.
Wazir n’a jamais caché le fait qu’il viendrait illégalement en Europe. On se parlait beaucoup l’année dernière et il mentionnait souvent ce projet : prendre un bateau depuis la Turquie et naviguer jusqu’en Italie.
Je lui ai toujours dit qu’il ne devait pas venir par des moyens illégaux ou en faisant appel à des trafiquants. Mais il me disait toujours qu’il n’y avait pas d’autres moyens. J’ai essayé de l’alerter sur les difficultés de l’immigration clandestine, les dangers, les obstacles administratifs une fois sur place. Il ne m’écoutait pas.
Au cours des quarante années de guerres afghanes, des millions de mes compatriotes ont vécu les expériences amères de l’exil, de l’errance. Je ne voulais pas que mon cousin et sa famille vivent la même chose.

Nous avons peu à peu cessé de nous parler. Je ne cautionnais pas son projet.
Après avoir vu la photo de Soudina, j’ai appelé mon frère et mes parents en Iran. Je pleurais, je leur ai dit que Wazir et les enfants étaient sûrement morts eux aussi. Ils ne m’ont pas cru, ils étaient sous le choc.
J’ai donc pris en photo les clichés des victimes qui avaient été sortis de l’eau. Et je leur ai envoyés. »
Depuis le naufrage, Gul Agha Djamshidi se bat pour que les corps de Soudina et de sa famille – s’ils sont retrouvés – soient transférés en Afghanistan.
Aujourd’hui, une polémique enfle sur le retard des secours italiens en mer. Six heures se sont écoulées entre le moment où l’embarcation a été repérée et le début des opérations de sauvetage. L’Agence européenne de surveillance des frontières, Frontex, avait indiqué quelques jours après le naufrage qu’un de ses avions de patrouille avait repéré dans la soirée de samedi (25 février) un bateau « en forte surcharge de passagers », parti la semaine dernière d’Izmir en Turquie et se dirigeant vers l’Italie. Il avait alors alerté les autorités italiennes.
Sources: www.infomigrants.net