Les Pays-Bas ne renverront plus d’hommes seuls vers la Belgique en raison des « défaillances » de son système d’accueil

Un arrêt rendu mercredi par le Conseil d’État des Pays-Bas indique que les autorités néerlandaises ne peuvent plus renvoyer vers Bruxelles les hommes seuls demandeurs d’asile, cela en raison d’une « défaillance systémique des autorités belges en matière d’accueil ». La Belgique connait depuis 2021 une importante crise de l’asile, notamment liée à la saturation de sa capacité d’accueil.
Les autorités néerlandaises ne peuvent plus utiliser la « procédure Dublin » pour renvoyer vers Bruxelles les demandeurs d’asile s’il s’agit d’hommes seuls, indique un arrêt rendu mercredi par le « Raad van State », le Conseil d’État des Pays-Bas
Le règlement Dublin – adopté par l’Union Européenne en juin 2013 pour régir les procédures d’asile dans l’Espace Schengen – prévoit qu’un seul pays européen est responsable du traitement d’une demande d’asile. Il s’agit généralement du pays par lequel la personne entre en Europe, ou bien celui auprès duquel il enregistre sa première demande d’asile. Si la personne tente sa chance ailleurs, elle sera alors renvoyée vers le premier port d’attache.
L’instance néerlandaise estime que la Belgique n’offre plus les garanties suffisantes en termes de respect des droits humains pour être considérée comme « port d’attache » valable pour les demandeurs d’asile lorsqu’il s’agit d’hommes seuls. Le Conseil d’état a justifié sa décision par la « défaillance systémique des autorités belges en matière d’accueil et de protection des droits de ce groupe », appuyant ainsi une décision prise par un tribunal de La Haye un an plus tôt.
« Le manque de places d’accueil pour demandeurs d’asile masculins isolés n’est plus temporaire, mais est devenu structurel. Et il n’est pas clair si ce groupe de demandeurs d’asile peut compter sur l’accueil d’urgence ou pour sans-abri » indiquait le Conseil d’État. Il souligne également que ces hommes isolés n’ont « pas accès à une protection juridique effective, car les autorités belges ne respectent pas les jugements et ne paient pas les astreintes ».
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Alors qu’en mars, la même juridiction considérait que la Belgique restait une destination digne de confiance pour les demandeurs d’asile masculins seuls, son avis est aujourd’hui tout autre.
En 2024 déjà, il y avait une forte attente envers les autorités belges pour qu’elles améliorent leurs capacités d’accueil. Mais un an plus tard, les espoirs ont été douchés. « Il apparaît que les améliorations promises n’ont pas eu lieu et qu’il n’y a pas de perspective d’élargissement de la capacité d’accueil », pointait le « Raad van State » ce mercredi.
Ce dernier a également dénoncé une « indifférence » des autorités belges face à la situation des demandeurs d’asile. L’accusation a aussitôt fait réagir la ministre en charge de l’asile et la migration, Anneleen Van Bossuyt. Elle a rejeté cette idée et assuré qu’il y avait surtout eu « une surcharge structurelle (du réseau d’accueil de demandeurs d’asile, ndlr) durant des années ». « J’ai hérité d’une crise de l’asile », s’est-elle défendue.
Défaillance du réseau d’accueil
Alors qu’en principe les hommes seuls demandeurs d’asile ont droit à l’accueil durant toute le processus de traitement de leur demande de protection, la saturation du réseau ne leur permet que rarement d’obtenir une aide d’hébergement rapide.
Par manque de places dans les structures gérées par l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil), les demandeurs masculins isolés sont quasi systématiquement inscrits depuis 2021, sur une liste d’attente après avoir introduit leur demande d’asile.
Fin 2024, cette liste recensait environ 3 000 hommes seuls selon Fedasil. Les délais s’étendent parfois jusqu’à neuf mois avant d’obtenir une place, selon le rapport annuel du Centre fédéral migration Myria. « Au plus fort de la crise, à l’été 2024, on en était à environ 4 000 personnes sur la liste d’attente », note Benoît Mansy, porte-parole de Fedasil.
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En août 2023, la secrétaire d’État sortante à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor, avait pris la décision de suspendre temporairement l’accueil des hommes seuls pour des raisons de « nécessité ». La proposition, très critiquée, avait finalement été suspendue par le Conseil d’État belge. Malgré cela, la mesure n’a pas eu de réel effet sur le terrain, la priorité est en effet toujours donnée aux familles, aux femmes et aux MNA .

A la mi-juillet 2025, la capacité d’accueil du réseau Fedasil était de 35 322 places pour un taux d’occupation de 94%, principalement des familles (52%). En 2024, six nouveaux centres ont été ouverts à Bruxelles et en Flandre créant 1 255 places supplémentaires. Un effort cependant insuffisant au vu de la forte demande et du nombre de demandeurs toujours sans solution d’hébergement.
Ouvert en 2022, le centre de Zaventen accueille spécifiquement les demandeurs “dublinés”, c’est à dire qui avaient déjà fait une demande d’asile au sein d’un autre état de l’espace Schengen avant d’en déposer une nouvelle en Belgique. Présenté comme un moyen d’accélérer le traitement des dossiers d’asile, la structure est vivement critiquée. “C’est du grand n’importe quoi. C’est juste un moyen pour les expulser plus rapidement” expliquait à la RTBF, Alexis Deswaef, avocat et vice-président de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH).
Les hommes seuls hébergés dans ces structures sont majoritairement Palestiniens. Ces ressortissants devancent désormais les Syriens tandis que les Afghans ne représentent plus que 10% des personnes accueillies.
Une crise de l’accueil qui s’enlise
Selon les chiffres du Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides (CGRA), 39 615 demandes d’asile ont été déposées en 2024, soit une hausse de 12 % par rapport à l’année précédente. Entre janvier et février 2025, plus de 6 500 demandes de protection internationale ont déjà été soumises.
Depuis 2011, la Belgique est confrontée à une crise de l’asile et de l’accueil des migrants, de par la combinaison d’une hausse des arrivées, d’un engorgement des centres d’hébergements, une insuffisance de places mais aussi par un allongement des délais de traitement des demandes d’asile.
Selon le quotidien De Morgen, la durée moyenne de traitement des dossiers d’asile était de 496 jours au cours des premiers mois de 2025. Près de 15 % des demandeurs d’asile attendent même plus de deux ans avant d’obtenir une décision. En moyenne, les demandeurs d’asile restent ensuite environ 14 mois dans un centre.
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Dans ces conditions, des centaines de demandeurs d’asile, dont les plus vulnérables parmi lesquels les mineurs non-accompagnés, sont contraints de survivre à la rue, y compris en hiver, dans des conditions indignes et dangereuses.
L’État belge a été condamné en justice à plus de 8 800 reprises pour ses manquements vis-à-vis de l’accueil des demandeurs de protection internationale, comme le droit international le prévoit. En juillet 2023, la Belgique a ainsi été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme après la plainte d’un demandeur d’asile guinéen qui n’avait pas pu obtenir de place d’hébergement auprès des autorités. Il avait été contraint de dormir dehors pendant plus de quatre mois.
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La ministre Anneleen Van Bossuyt a rappelé vouloir miser avant tout sur une diminution des entrées, une accélération des sorties (du pays) et la lutte contre les « abus ». « C’est nécessaire pour pouvoir offrir une protection humaine à ceux qui y ont droit », affirme-t-elle. La ministre a affirmé que la Belgique entend désormais renforcer sa fermeté à l’égard de l’immigration irrégulière et des demandes d’asile introduites successivement dans plusieurs pays européens, une pratique qu’elle qualifie de « shopping de l’asile ».
Depuis sa prise de fonction en février dernier, le gouvernement nationaliste flamand de Bart de Wever a multiplié l’adoption de mesures répressives afin de lutter contre l’immigration illégale. Limitation du regroupement familial, restriction de l’accès à la citoyenneté belge, politique de renvoi des personnes déboutées dans leur demande de protection, suppression de structures d’accueil de migrants y compris des centres pour les mineurs étrangers non accompagnés (MNA), exclusion des hommes seuls des centres d’accueil, ou encore réduction de l’accès des réfugiés aux aides sociales, sont autant de restrictions et limitations rentrées en application ces derniers mois. Dans le même temps, une coupe drastique est prévue prochainement dans le budget alloué à la politique de l’asile.
Sources: infomigrants




