« Wir schaffen das » (« On peut le faire« ), avait lancé Angela Merkel en août 2015, alors que le pays s’apprêtait à accueillir un million de réfugiés. Plus de trois ans après cette phrase tant critiquée, Ingo Kramer, le président de Confédération des associations d’employeurs allemandes (BDA), veut donner raison à la chancelière. Selon les derniers chiffres, 400 000 d’entre eux sont en formation ou ont trouvé un emploi. « Je suis étonné que cela aille si vite, se félicite-t-il. Nous le devons pour beaucoup aux entreprises.«
Difficile de dénombrer exactement celles qui ont ouvert leurs postes aux demandeurs d’asile. Selon le dernier sondage de la chambre de commerce et d’industrie (Dihk), la moitié des sociétés interrogées en ont embauché ou pris en apprentissage. « À l’origine, leur motivation était surtout de participer à l’élan de solidarité, confie Marlene Thiele, la responsable du réseau. “Les entreprises intègrent les réfugiés” de la Dihk. Dans les petites communes, beaucoup se situaient à proximité de centres d’hébergement d’urgence et voulaient aider. «
Une responsabilité sociétale qu’a souhaité assumer Thyssenkrupp en créant dans toute l’Allemagne 150 places d’apprentissage supplémentaires pour une durée de deux et trois ans. Pour autant, en dépit de l’expérience de ce consortium qui emploie déjà des dizaines de nationalités différentes, des défis nouveaux se sont vite présentés. À commencer par l’embauche. « Nous n’avons pas publié d’annonces d’emploi, précise Sabrina Munsch, chargée du projet baptisé “We help”. Sinon, nous aurions reçu des centaines de candidatures, pas forcément appropriées. » Thyssenkrupp a préféré s’adresser aux agences locales pour l’emploi ou aux travailleurs sociaux pour qu’ils l’aident à identifier les candidats motivés et au profil intéressant. « Les premiers recrutements sont primordiaux, souligne Sabrina Munsch. S’ils se passent bien, ils permettront aux salariés et au reste de la population de se dire que c’est une bonne idée.«
Cours de langue en interne
Autre barrière, celle de la langue. Au début, le fabricant d’équipements de montagne Vaude, qui a embauché douze réfugiés, sur un effectif de 1 600 personnes, n’en demandait pas forcément une bonne maîtrise. « La communication compliquée a pu conduire à des malentendus ou à des conflits », se souvient Antje von Dewitz, la PDG. Depuis, elle se montre plus sélective et a mis en place des cours de langue en interne. Une décision également prise par la fonderie Trompetter Guss Chemnitz, surtout pour des raisons de sécurité. « Nous manipulons du métal en fusion et devons nous assurer que les réfugiés comprennent les consignes « , justifie Ulrike Riedel, le responsable du personnel, qui a engagé onze réfugiés originaires de Syrie, d’Afghanistan, d’Irak et de Guinée, sur 500 salariés. Lors de l’entretien d’embauche, la RH présente aux candidats un petit test, souvent un texte à lire, et s’assure de leur niveau de compréhension.
Trompetter Guss a en outre organisé des cours de langue, pour une trentaine de personnes, dont le personnel d’origine étrangère. Un professeur vient trois fois par semaine, pendant une heure, avant la prise de poste. » Nous avons remarqué que les migrants arrêtent les cours à l’extérieur au bout d’un moment, explique Ulrike Riedel. Or, pour leur insertion, il est important qu’ils persévèrent. » De son côté, alors qu’il demande déjà un bon prérequis en allemand à ses apprentis, Thyssenkrupp dispense des cours d’allemand technique, via des professeurs ou des retraités. Il estime cette initiative à environ 1 500 euros par apprenti et par an.
Une main d’oeuvre bienvenue
« Former ces personnes n’est pas une question de coût, observe Ulrike Riedel. L’investissement est nécessaire car nous avons besoin de main-d’œuvre, tout simplement. » Ses métiers exigeant un travail physique, Trompetter Guss confie avoir beaucoup de difficultés à recruter, surtout des jeunes. Une situation que rencontrent de nombreuses entreprises dans le pays. « Dans notre contexte démographique, les employeurs doivent être moins exigeants sur leurs critères de recrutement et ne pas avoir une liste de savoir-faire auxquels le candidat doit correspondre,analyse Marlene Thiele. Il s’agit plutôt de détecter sa faculté à développer ses compétences. «
Une appréciation parfois difficile à réaliser, d’autant que les réfugiés ne peuvent pas toujours produire des diplômes qu’ils ont laissés dans leur pays. C’est pourquoi la plupart des établissements préfèrent recourir à des périodes d’essai. Vaude, par exemple, a proposé des stages pouvant aller jusqu’à six semaines, payés par l’assurance chômage ou les partenaires sociaux, pour laisser le temps à l’équipe dirigeante et au candidat d’évaluer son intérêt et son adéquation pour le poste.
Définir des règles de respect mutuel
Enfin, ce type de projet ne saurait réussir sans l’implication des employés, en particulier dans les PME. « Une entreprise est le reflet en miniature de la société. On y retrouve toutes les opinions« , assure Antje von Dewitz. Il est donc important de bien communiquer pour indiquer les règles et les comportements inacceptables. Cela peut être, du côté des salariés, une hostilité envers la culture arabe ou l’islam. Ou le non-respect par les réfugiés de la ponctualité, une règle d’or en Allemagne, le fait de refuser des femmes aux postes d’encadrement…
Enfin, sachant qu’outre-Rhin les demandeurs d’asile ont le droit de travailler pendant l’examen de leur dossier, il peut arriver que certaines demandes soient rejetées et que cela conduise à l’expulsion du salarié, ce qui n’est pas sans affecter le personnel. « Certes, ce n’est pas une promenade de santé, car cela coûte en temps et en énergie, tempère Antje von Dewitz. Mais c’est aussi une véritable opportunité car on gagne des travailleurs très motivés et tout le monde en retire une certaine fierté. «
L’Allemagne a besoin de 260 000 travailleurs immigrés par an
Annegret Kramp-Karrenbauer, qui a succédé à Angela Merkel à la tête de la CDU, veut durcir les règles d’immigration du pays. La très influente Fondation Bertelsmann suggère au contraire d’accroître le recours aux travailleurs immigrés pour couvrir ses besoins en main-d’œuvre. Outre les 114 000 Européens qui pourraient s’installer dans le pays chaque année, l’étude de l’IAB, l’institut allemand de recherche sur le travail, et de l’université de Cobourg estime que le marché du travail aurait aussi besoin annuellement, au cours des quarante prochaines années, de 146 000 immigrés supplémentaires issus des pays hors Union européenne.
Sources : usinenouvelle.com