Sur l’île grecque de Lesbos, l’épidémie de coronavirus inquiète les autorités. Les 35 personnes migrantes qui avaient été détectées positives au virus ont fui avec les autres migrants lors de l’incendie qui a détruit le camp de Moria, dans la nuit du 8 au 9 septembre. Mais pour les exilés qui vivent à la rue depuis une semaine, le Covid-19 n’est plus qu’une angoisse lointaine, largement dominée par celle de ne pas trouver à manger chaque jour.
Sous une couverture grise attachée par un côté à un grillage et soutenue de l’autre par de petits piquets en bois, Jessica est assise, épaules contre épaules, entre deux jeunes hommes. Ces Camerounais sont résignés face à l’impossibilité de préserver toute distanciation sociale au milieu des milliers de personnes qui vivent à la rue depuis une semaine, le long de la route de Mytilène.
« On est entassé ici comme des poulets en batterie. Quand il y a des distributions [de nourriture] on est agglutinés, c’est impossible d’avoir un mètre de distanciation », s’agace la jeune femme en t-shirt sans manche noir.
Sur les quelques centaines de mètres le long desquels les rescapés de l’incendie du camp de Moria sont installés, le coronavirus semble appartenir à une autre époque. Un temps où, malgré les difficultés de la vie à Moria, les personnes migrantes avaient encore de l’énergie pour éviter les contaminations.
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Depuis l’incendie, toute distanciation sociale semble impossible et, surtout, l’urgence est ailleurs. « La plus grande préoccupation de ces personnes actuellement, c’est d’avoir accès à de la nourriture et de l’eau », souligne Dimitra Chasioti, psychologue pour Médecins sans frontières (MSF) dans la clinique que l’ONG a installée tout près des tentes.
La psychologue se souvient qu’il y a encore quelques jours ses patients étaient très inquiets de l’épidémie. Surtout lorsque le premier cas positif a été déclaré dans le camp de Moria, le 2 septembre. « Nous en parlions beaucoup en consultations », témoigne-t-elle.
Aujourd’hui, quelques rares personnes portent un masque mais sont ultra-minoritaires. Abolfazl, 13 ans, a le visage caché par un masque bleu en tissu qui lui a été donné par l’association One Happy Family. « La plupart des réfugiés n’ont pas peur du coronavirus mais nous devons rester vigilants […] Si une personne ici a le coronavirus, tout le monde l’aura », affirme l’adolescent originaire d’Afghanistan.
Le lendemain de l’incendie du camp, One Happy Family a distribué 200 masques aux rescapés. « Tout ce que nous avions », selon Nicolas, un bénévole qui n’a pas souhaité que son nom de famille soit publié. « Précédemment, nous avions aussi distribué du gel hydroalcoolique et du savon. Mais, pour le moment, personne ne se soucie vraiment du coronavirus, il y a des besoins plus urgents. »
Propagation alarmante
Quelques jours avant l’incendie, le nombre de personnes infectées s’élevait à 35 dans le camp de Moria. Toutes ont fui les flammes avec les autres migrants. Quelques unes seulement ont pu être identifiées depuis l’évacuation.
La situation inquiète beaucoup les autorités locales. D’autant plus que l’île de Lesbos avait déjà été ajoutée, fin août, à une liste de lieux où la propagation du virus est alarmante.
Dans le nouveau camp temporaire construit en bord de mer, un test rapide de détection du coronavirus est réalisé sur tous les nouveaux résidents. Les personnes ayant eu un test positif sont placés à l’isolement mais le résultat du test n’a aucun impact sur les dossiers de demande d’asile des exilés. « Le coronavirus n’a rien à voir avec l’asile […] Les personnes infectées sont placées en quarantaine mais cela n’affecte en rien les procédures de demande d’asile », souligne Eli Thanou, avocate, membre du Greek Council for Refugees.
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Parmi les milliers de personnes qui vivent depuis une semaine sous des tentes et abris de fortune le long de la route qui mène à Mytilène, il est bien difficile de savoir qui est positif au coronavirus. Dans leur clinique mobile installée en surplomb de la route, les équipes de MSF tentent de repérer d’éventuels malades.
« Si quelqu’un présente des symptômes clairs du coronavirus, nous le confions à l’hôpital [de Mytilène] et [l’équipe médicale de l’hôpital] se charge de la situation, une ambulance vient chercher la personne. Cela est arrivé une fois hier pour un bébé », explique Faris Al-Jawad, porte-parole de l’ONG médicale.
« [Les patients] doivent présenter plus de symptômes qu’une simple toux, comme de la fièvre, car tout le monde tousse un peu ici », ajoute-t-il.
Prévention impossible
Certaines personnes migrantes pourraient elles aussi servir de vigies dans le camp. C’est le cas de Dadi Mukendi. Cet ancien cameraman originaire de RDC, a suivi en août une formation sur le coronavirus délivrée par MSF. « On a appris comment protéger les gens du coronavirus, à se laver les mains, quels sont les symptômes de la maladie et aussi comment porter et changer un masque”, explique-t-il.
Il porte encore le t-shirt bleu qu’on lui a remis lors de cette formation. Mais ce n’est plus pour faire de la prévention. C’est l’une des rares affaires qu’il a pu emmener avec lui lors de l’incendie.
D’ailleurs, Dadi Mukendi le reconnaît, face à la situation, il a baissé les bras. Comment demander aux gens de se laver les mains lorsqu’il n’y a pas d’eau ? Comment ne pas s’approcher des autres lorsqu’il faut physiquement s’imposer pour manger ?
De son côté MSF a déjà fait le choix du plus urgent. « Bien sûr, il est préoccupant qu’après l’incendie, 35 cas isolés [de coronavirus] se soient dispersés », déclare Faris Al-Jawad. « Pour l’instant, l’aspect urgent des choses, pour MSF, c’est de faire en sorte que les personnes aillent dans un lieu sûr. La rue n’en est pas un. »
Sources : https://www.infomigrants.net/