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France : « La rétention administrative, c’est de la criminalisation des personnes étrangères »

Alors que des étrangers ont été testés positifs au coronavirus dans plusieurs CRA de France, InfoMigrants refait le point sur le maintien en activité de ces centres de rétention. Ces lieux de privation de liberté pour étrangers dans l’attente d’une expulsion sont pointés du doigt par les associations qui soulignent leur inutilité et leur « violence ».

Depuis le début de la crise sanitaire en France, le maintien en activité des centres de rétention administrative (CRA) ne cesse de poser question. Pour les associations qui interviennent dans ces lieux, la situation est devenue ubuesque. Car ces centres – où sont maintenus des étrangers, dans des conditions sanitaires douteuses, en attendant d’être expulsées du territoire – ont quelque peu perdu leur raison d’être.

Les procédures d’expulsions d’étrangers vers leur pays d’origine sont en effet, depuis le mois de mars, considérablement entravées en raison de la fermeture des frontières due à la pandémie mondiale.

Plusieurs associations militent ainsi inlassablement pour la fermeture des CRA où l’on enferme « sans perspective », à coût de recours devant les tribunaux.

InfoMigrants a fait le point avec Paul Chiron, responsable du soutien juridique à la Cimade, association qui intervient dans huit centres de rétention sur le territoire français (Rennes, Bordeaux, Hendaye, Toulouse, Mesnil-Amelot, Guyane, Guadeloupe, la Réunion) où 274 personnes sont actuellement enfermées.

InfoMigrants : Combien de personnes retenues dans ces centres ont été expulsées de France depuis le début du premier confinement?

Paul Chiron : Depuis le mois de mars, il y a en moyenne 67 expulsions par mois, dont 37 vers des pays hors de l’Union européenne. En 2019, cette moyenne mensuelle était de 253.

Ces chiffres nous permettent de faire un premier bilan de la situation en période de crise sanitaire. Ils confirment ce que l’on savait déjà : il y a désormais très peu de perspectives d’éloignement avec la fermeture des frontières.

Celles de l’Algérie, par exemple, sont fermées depuis mars. Aucune expulsion n’a pu avoir lieu vers ce pays depuis le 15 mars. Et pourtant, on voit toujours des personnes de nationalité algérienne dans les CRA bien qu’il soit techniquement impossible de les expulser. Rien que dans les centres où nous intervenons, 13% de la population est de nationalité algérienne !

>> À (re)lire : Conditions indignes, menottage et isolements arbitraires : un rapport accuse les CRA de fonctionner comme des prisons

Le sens légal de ce genre de retenue est par conséquent complètement dévoyé. La loi stipule en effet qu’une personne peut être privée de liberté dans une perspective « raisonnable » d’éloignement. Or actuellement, la plupart des expulsions n’ont pas lieu et on ne sait pas quand elles pourront reprendre. Visiblement, on veut donc juste enfermer des personnes en rétention sans espoir aucun de les expulser. C’est simplement de la privation de liberté inutile et violente.

Selon nous, la rétention administrative revient à criminaliser des personnes étrangères. Les CRA ressemblent d’ailleurs de plus en plus à des prisons. L’allongement de la durée maximale de rétention [portée de 45 jours à 90 jours par une réforme « asile et immigration » en septembre 2018, NDLR] va dans ce sens. Cela reflète une volonté d’afficher une fermeté envers les personnes en situation irrégulière et, ça, ce n’est que de la politique.

IM : Rien que dans le CRA de Toulouse, vous avez récemment déposé 24 demandes de mises en liberté de retenus, qui ont toutes été rejetées. Quels étaient les motifs de ces rejets?

PC : Nos demandes étaient axées sur l’illégalité de ces rétentions, étant donné l’absence de perspectives d’éloignement. Les juges ont estimé que, pour eux, ces perspectives existaient bel et bien, soit car certaines frontières sont pour l’instant partiellement ouvertes avec l’exigence de tests PCR, soit car, selon eux, on ne sait pas comment va évoluer la situation, sous entendu les frontières pourraient rouvrir bientôt.

Pourtant, on ne voit pas spécialement la fin de cette pandémie et il n’est pas imaginable « raisonnablement » – pour reprendre le terme de la loi – de croire que les frontières vont pouvoir rouvrir bientôt.

Parmi la population retenue, on observe un véritable sentiment d’injustice par rapport à tout cela : les personnes savent très bien qu’il n’y a pas d’avion pour elles, qu’elles sont là pour rien. Elles sont tout à fait conscientes de l’injustice totale à laquelle elles font face et aussi du fait que ces centres sont des nids à contamination.

IM : Dans certains CRA, des clusters de contaminations au Covid-19 sont d’ailleurs apparus ces derniers mois. Rien que cette semaine, au moins trois personnes ont été testées positives parmi la population de retenus dans le CRA de Bordeaux…

PC : Oui. Des clusters sont aussi apparus aux CRA du Mesnil Amelot (établissement situé en région parisienne où sept personnes avaient été testées positives en août, NDLR), dans celui de Coquelles, près de Calais, et, très récemment, dans celui de Vincennes [« Sur les 24 retenus ayant accepté de procéder aux analyses, sept se sont révélés positifs au virus », a annoncé mardi 10 novembre l’Assfam, association qui intervient dans ce centre, sur sa page Facebook. « Parmi eux, plusieurs personnes sont atteintes de pathologies graves (VIH, asthme) et donc tout particulièrement vulnérables », NDLR].

On le répète déjà depuis plusieurs mois mais ces centres ne sont pas adaptés aux mesures sanitaires qui sont demandées au reste de la population. Le protocole sanitaire qui y est appliqué est soit négligé, soit complètement inefficace. 

>> À (re)lire : En région parisienne, un centre de rétention transformé en « CRA Covid »

Il faut dire que, dans les CRA, les retenus sont plusieurs par chambre, ils partagent les repas en commun, autant de moments où les contaminations sont favorisées. Pendant le premier confinement, plusieurs centres avaient fermé leurs portes et le taux d’occupation s’était révélé plus faible que d’habitude. Mais aujourd’hui, ce taux d’occupation explose. 

Au CRA de Bordeaux, lors du premier week-end de reconfinement (31 octobre – 1er novembre), on a constaté un taux d’occupation de 90%. Cela semble assez fou et inadmissible : ces lieux vont totalement à l’encontre de ce qui est décrété pendant le confinement.

Il semblerait que, pour les autorités, afficher de la fermeté envers ces personnes étrangères soit plus important que gérer la situation sanitaire.

Sources : https://www.infomigrants.net/

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