Lydia Veyrat, une aide soignante béninoise employée en CDI dans un Ehpad, a reçu une obligation de quitter le territoire français. Le préfet de Savoie, où elle vit, estime qu’elle n’est pas assez intégrée à la société. Son avocat a déposé un recours hiérarchique devant le ministère de l’Intérieur et dénonce une « situation ubuesque ».
A l’heure où les établissements médicaux français manquent cruellement de personnel pour faire face à l’épidémie de Covid-19, une aide-soignante béninoise, employée dans un Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) d’Isère, est menacée d’expulsion. Lundi 23 novembre, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le recours déposé par son avocat, Me Didier Besson.
Lydia Veyrat, 37 ans, a reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) après avoir lancé les démarches pour faire renouveler son titre de séjour auprès de la préfecture de Savoie, où elle vit.
La préfecture estime que l’aide-soignante aurait dû déposer son dossier deux mois avant la fin de son titre de séjour. Mais cela n’a pas été possible. « Pour déposer mon dossier de renouvellement de titre de séjour, ça a été une galère. Mon rendez-vous a été annulé à cause de la crise sanitaire », explique Lydia Veyrat à InfoMigrants.
Mobilisée face au Covid
Mais ce qui choque encore plus son entourage et ses collègues, c’est que le préfet a estimé que la jeune femme n’était « pas bien intégrée » dans la société française. « Il a également avancé que comme elle n’était pas en France depuis longtemps et qu’elle avait un fils de 19 ans au Bénin, le fait de lui refuser le séjour n’aurait pas d’implication sur sa vie de famille », détaille son avocat, joint par InfoMigrants.
Mariée à un Français avec qui elle vivait depuis vingt ans au Bénin, Lydia Veyrat travaillait là-bas comme infirmière. En 2019, elle et son mari – alors gravement malade – ont décidé de venir s’installer en France. Mais son mari est mort en mars 2019 avant que le couple n’ait quitté le Bénin.
« Mme Veyrat a décidé de venir car elle avait la succession de son mari à régler. Elle s’est retrouvée en France avec un titre de séjour d’un an. La succession a pris du temps et du coup elle s’est mise à travailler à l’été 2019 », explique Didier Besson.
Lydia Veyrat a été rapidement engagée comme aide soignante à l’Ehpad de Pontcharra, en Isère. Elle y a effectué plusieurs CDD avant de signer un CDI en octobre dernier pour un emploi d’aide soignante à plein temps. Elle a donc connu la première vague de Covid dans cet établissement et, à ce titre, elle a reçu la « prime Covid » du gouvernement.
« On me dit de rentrer chez moi comme si j’étais une criminelle »
Depuis la décision du préfet, l’aide-soignante est sous le choc. « J’ai tout abandonné au Bénin pour mon homme. Aujourd’hui, on me dit de rentrer chez moi comme si j’étais une criminelle », confie-t-elle entre deux sanglots.
« Quand je suis venue en France, j’ai validé mon visa long séjour. Quand j’ai commencé à travailler, j’ai été convoquée à l’Ofii (Office français de l’immigration et de l’intégration), à Grenoble, pour une signature de contrat d’intégration. Ils m’ont alors félicitée parce que, trois mois après mon arrivée en France, j’avais trouvé du travail, acheté une voiture et je m’étais déjà renseignée sur la façon dont je pouvais faire valoir en France mon diplôme d’infirmière », raconte-t-elle avec fierté.
« Je me suis même déjà inscrite dans une auto-école parce que mon permis béninois n’est valable qu’un an. Tout cela m’a donné confiance en moi et a un peu soulagé la douleur de la mort de mon mari. Je me suis dit ‘le pays de mon mari ne me rejette pas’. »
« Plus qu’intégrée, indispensable »
Parmi ses collègues aussi, la décision de la préfecture a provoqué la consternation. « On pouvait compter sur elle, elle était indispensable à nos services », affirme l’une d’elles dans un reportage réalisé par M6. « Franchement, ça nous manque quand elle n’est pas là », renchérit une autre.
C’est ce qu’a tenté de faire valoir Me Didier Besson. Pour défendre sa cliente, l’avocat a déposé un recours devant le tribunal administratif de Grenoble mais il a été rejeté. Il s’apprête à interjeter appel de la décision du tribunal.Un recours hiérarchique a également été déposé auprès du ministère de l’Intérieur.
« Lydia Veyrat est plus qu’intégrée, elle est indispensable ! », souligne Didier Besson. « Dans les Ephad actuellement, le personnel est testé toutes les semaines pour voir s’ils sont positifs au Covid-19 et, en réalité, même s’ils sont positifs, ils travaillent quand même vu le manque d’effectifs. Une aide-soignante en moins au quotidien, c’est des personnes qui sont moins souvent lavées, avec lesquelles on va passer moins de temps pour les faire manger, etc », ajoute-t-il.
L’avocat n’ose pas se prononcer sur l’issue des démarches engagées. Selon lui, la décision de la préfecture pourrait correspondre à la vague d’OQTF généralement délivrée en fin d’année car « la préfecture a des quotas à remplir ».
« Sur cette période, il y a aussi une accélération du traitement des dossiers en préfecture. Les six premiers mois de l’année, les gens attendent de nombreux mois avant d’avoir des nouvelles de leur dossier. En fin d’année, les dossiers sont instruits à la va-vite. »
Contactée par InfoMigrants, la préfecture de Savoie n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Reste que même si l’OQTF de Lydia Veyrat est maintenue, l’aide-soignante ne pourra pas quitter la France, les frontières étant fermées en raison du coronavirus. Didier Besson dénonce une « situation ubuesque ». « Si on perd, elle va se retrouver sans titre de séjour, sans pouvoir repartir, au lieu de pouvoir être auprès des pensionnaires de l’Ehpad. »
Sources : https://www.infomigrants.net/