Une « caravane des solidarités » d’Espagne à Bruxelles pour dénoncer la politique migratoire européenne
La « caravane des solidarités » est arrivée à Bruxelles ce jeudi. Elle a été reçue par des parlementaires européens avant une manifestation samedi.
Partie lundi de Bilbao en Espagne, la caravane, composée de 160 associations, d’ONG et d’exilés, est arrivée à Bruxelles ce jeudi. Durant ces plus de 1 000 kilomètres de trajets effectués à pied, en bus et en train, les participants, issus d’Europe, du Maghreb ou du Sahel, ont dénoncé une « politique migratoire européenne meurtrière » pour les personnes qui tentent de rejoindre le continent.
Avec pour slogan, « des droits, pas des morts », elle exige des institutions européennes des « mesures concrètes pour garantir les droits humains » de ceux qui, par milliers, tentent chaque année de rejoindre l’Europe. Selon les associations organisatrices, plus de 28 000 personnes sont mortes sur les routes migratoires depuis 2014. Et 49 000 depuis 1993.
Avant une manifestation dans le quartier européen de la capitale belge prévue samedi, des représentants d’associations et ONG de Belgique, France, Espagne et Hollande ont été reçus ce jeudi par des eurodéputés. Au sein du Parlement, une dizaine d’élus de groupe d’extrême gauche et des Verts a écouté pendant plusieurs heures le discours de la délégation.
D’emblée, les témoignages sont forts, à l’image de ce que traversent les exilés sur la route. En premier, c’est une mère tunisienne qui a pris la parole. Elle a témoigné de la mort de deux de ses enfants dans la Méditerranée. Ensuite, un réfugié du Niger a abordé la question des pays frontaliers de l’UE, « et comment l’Union européenne fait pression sur des pays, notamment du Maghreb et du Sahel, pour augmenter les entraves à la libre circulation », selon Sophie Duval, chargée de plaidoyer Migrations à la CCFD-Terre solidaire et représentante française à la réunion.
Enfin, que ce soit le groupe de contrôle de Frontex, les pushbacks ou les discussions dans l’hémicycle autour de la politique migratoire, le tour des sujets a été fait. Avec ces parlementaires « très aguerris sur les questions migratoires » et qui ont « des difficultés à porter ce sujet au sein de l’UE », les discussions ont été « franches et intéressantes », explique Mme Duval. « Nous avons dit aux eurodéputés que l’externalisation, la militarisation de toutes les frontières et la criminalisation de la solidarité sont les raisons pour lesquelles les gens meurent en essayant de traverser les frontières », ajoute Camila Macedo de l’association espagnole à l’origine de la caravane, Ongi Etorri Errefuxiatuak.
Cette rencontre avait aussi pour but de passer un message aux élus européens alors qu’un nouveau pacte migratoire doit être voté avant les prochaines élections européennes de 2024, dans un climat qui inquiète de nombreuses associations. « Les politiques nationalistes prennent de plus en plus d’ampleur en Europe et sont de plus en plus répressives », rappelle la chargée de plaidoyer qui réclame, avec les autres organisations, « un contrôle qui soit plus effectif de ces politiques ». Il faut pouvoir « mettre en cause la responsabilité de l’Union européenne face à ces morts et disparus, mais aussi les violations des droits humains que la politique migratoire engendre« .
À Calais, « la même situation, mais en pire »
Avant son arrivée à Bruxelles, la marche a fait étape dans plusieurs villes d’Espagne et de France dont Calais, ville portuaire d’où des milliers de migrants tentent de traverser la Manche pour se rendre en Angleterre. Réunis dans le parc de Richelieu, endroit symbolique de la ville où sont organisés des veillées funèbres après chaque annonce de décès dans la région, ils ont brandi des affiches avec les noms et nationalité de personnes décédées lors d’une traversée.
Entre les 28 septembre 2021 et 2022, 53 personnes sont décédées sur la Manche, selon les associations.
Devant une grande banderole qui jonchait le sol, associatifs, migrants et calaisiens ont rendu un hommage aux morts dans cette ville qui, en France, est devenue un symbole de la crise migratoire qui touche l’Europe. Des migrants qui ne sont pas « morts, mais assassinés », ont-ils scandé, dénonçant encore la politique migratoire européenne.
Et ici non plus, la politique migratoire européenne ne passe pas, notamment la procédure Dublin qui implique qu’un exilé doit procéder à une demande d’asile dans le premier pays d’arrivée en Europe. « La situation est la même chaque année, mais en pire », résume Pauline Joyau, coordinatrice d’Utopia56 qui était présente lors de l’arrivée de la caravane. Et d’ajouter : « J’ai très peur de l’hiver qui arrive. Les dispositifs d’accueil sont saturés et même pour les mineurs, il y a un gros manque et des refus tous les soirs ».
Aujourd’hui, le long du littoral calaisien, « les petits campements se succèdent à cause des expulsions qui ont lieu toutes les 48 heures, selon elle, et la militarisation de la frontière se poursuit ». Une telle cérémonie avec la caravane est donc importante, selon elle, pour « réhumaniser les personnes qui décèdent aux frontières ».
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Depuis les côtes françaises, plus de 30 515 personnes ont déjà tenté de rejoindre le Royaume-Uni cette année, selon les chiffres du ministère britannique de la Défense. Soit un nombre supérieur à celui de 2021, lorsque 28 526 personnes avaient entrepris de traverser la Manche. Et selon un rapport parlementaire britannique, le total d’ici la fin d’année pourrait atteindre 60 000 personnes.
Régularisation des travailleurs
Outre les décès aux frontières, la régularisation des travailleurs est aussi un cheval de bataille qui guide la caravane. D’où cet arrêt dans la banlieue parisienne, à Alfortville. Devant les entrepôts de l’usine Chronopost, la caravane est venue apporter son soutien à la centaine de grévistes sans-papiers de l’usine. Depuis presqu’un an, ils campent devant la firme et réclament une régularisation de leur situation après avoir travaillé des mois, voire des années, dans des conditions de travail très difficiles.
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« Avec toutes ces discussions qui avaient émergées pendant le Covid sur le rôle des travailleurs migrants dans les emplois essentiels, des réformes ont été menées, notamment au Portugal, mais elles n’ont pas été suivis dans les faits », dit à Infomigrants Sophie Duval.
Le parcours de la caravane se clôturera samedi après un week-end d’évènements dont le « Sommet des peuples », « une réflexion entre associations sur la poursuite des combats et l’agenda des prochains mois », détaille Sophie Duval. Après cela, les associations donneront une dernière fois de la voix lors d’une manifestation devant les instances européennes.
Source : http://www.infomigrants.net