Mohamed et Israa, quand deux migrants tombent amoureux dans la maison d’un passeur
Mohamed et Israa, deux Soudanais de 25 et 22 ans, se sont rencontrés en Turquie dans un lieu peu propice aux idylles amoureuses : la maison de leur passeur. Depuis, ils se sont mariés et ont traversé ensemble la mer Égée en direction de l’île de Lesbos. En attendant leur régularisation, ils rêvent d’une hypothétique lune de miel dans les Cyclades.
Au milieu du camp de migrants de Mavrovouni, sur l’île grecque de Lesbos, deux sourires éclatants tranchent avec la misère des environs. Ce sont ceux de Mohamed et Israa, les habitants du container numéro 247. Dans ce labyrinthe de logements d’urgence, où vivent 1 800 personnes de manière provisoire, le jeune couple de Soudanais nous accueille dans « leur » maisonnette en préfabriqué comme on reçoit des gens à dîner, avec gaieté et chaleur.
Installés sur un lit une place, Mohamed et Israa racontent d’une seule voix leur idylle et se prêtent avec décontraction au jeu de la séance photos, flattés d’être pris pour sujets. Depuis leur arrivée à Lesbos, le 21 octobre 2022, au prix d’une traversée de la mer Égée périlleuse, ils ont jeté leurs efforts dans cette nouvelle vie qu’ils imaginent forcément belle. « Une fois qu’on sera régularisés, on veut créer une entreprise de construction », dit Mohamed avec insouciance, mettant en avant son expérience dans le secteur du bâtiment, en banlieue de Khartoum, au Soudan.
Surtout, ils veulent être ensemble, eux qui ont pris le chemin de l’exil seuls, chacun de leur côté, et qui sont désormais loin de leurs familles respectives avec qui ils n’ont plus de contact. Les deux Soudanais, de 25 et 22 ans, se sont rencontrés à Izmir, en Turquie, en septembre dernier. Ils étaient alors dans la maison d’un passeur, en attendant le départ en bateau pour la Grèce. Une maison pleine d’une centaine de personnes, des migrants d’origines diverses, parmi lesquels régnaient « la peur et l’inquiétude ». Les occupants étaient divisés par groupes, sans logique, dans les différentes chambres. Israa s’est retrouvée avec plusieurs hommes. Dans cette maison, « d’autres migrants ont essayé à plusieurs reprises de me toucher », explique Israa. Mohamed en fut témoin. « Il est venue m’aider, il m’a défendue, plusieurs fois. »
Une bague, une glace et une rose
Les deux jeunes se rapprochent et finissent par ne plus se quitter. Dans cet endroit hostile où l’avenir est suspendu aux conditions météorologiques et, surtout, aux ordres des passeurs, Mohamed fait sa demande en mariage à Israa le 28 septembre. Une semaine plus tard, ils scellent leur union. « On a fait un mariage religieux dans la mosquée d’Izmir. Il y avait deux témoins qui étaient des personnes présentes ce jour-là dans la mosquée », raconte Mohamed.
Sortir de la maison du passeur est nécessaire car aucune nourriture n’y est fournie : il faut aller acheter de quoi manger par ses propres moyens. Mais sortir de la maison est dangereux, indique le couple, dans ce pays où les migrants sont régulièrement arrêtés par les autorités. « J’avais peur d’être emprisonné et renvoyé au Soudan », dit Mohamed.
Malgré la peur, ce jour-là, le couple traîne dans les rues d’Izmir après la cérémonie. Ils s’achètent deux bagues, leurs alliances, pour la somme de 200 livres turques (environ 10 euros). Mohamed offre une glace, et une rose, à Israa. « J’étais tellement contente, j’avais l’impression de planer de bonheur », se souvient-elle. « Depuis que je suis avec Mohamed, j’ai l’impression d’avoir enfin une vie à moi. »
« Mon village a été attaqué »
Israa est originaire du Darfour. Lorsqu’elle avait 3 ans, en 2003, la guerre civile opposant les forces du gouvernement soudanais à des groupes rebelles, dont la milice « janjawid », a éclaté, provoquant l’extermination de milliers de personnes et le déplacement de millions d’autres. « Mon village a été attaqué, raconte Israa. J’ai vu les miliciens brûler le village. C’est la dernière fois que j’ai vu mes parents vivants. Ils ont été victimes de la ‘purification ethnique’. » La fillette a ensuite été élevée par sa tante, dont le conjoint l’a maltraitée. Dès qu’elle a pu, Israa a quitté le Soudan.
Mohamed, lui, a fui des menaces. « J’ai été accusé avec mon oncle d’aider des groupes militaires au Soudan », raconte-t-il. Le jeune homme nie pourtant ces accusations : « Je n’avais rien à voir avec la politique, mais ils ont commencé à me suivre, moi et mon oncle. Après sa mort l’année dernière, j’ai décidé d’immigrer à la recherche d’une vie sûre. » Mohamed est parti en septembre 2022. Depuis, il assure ne pas être en contact avec ses deux sœurs et sa mère restées sur place, pour les protéger. « Je ne peux pas les contacter, elles pourraient être en danger si je le fais. »
Les deux amoureux cherchent désormais une chose : une protection. « Ca apporte de la chaleur à ma vie d’être avec Israa », confie Mohamed, assis à côté d’elle. « On fait tout ensemble, on partage tout, la joie comme la tristesse », commente la jeune mariée.
Mohamed a reçu son statut de réfugié, mais Israa attend encore le sien. Confiant et optimiste, le duo projette déjà sa lune de miel, « sur l’île de Santorin », dès que leur situation sera stable.
Une fois le statut de réfugié obtenu, nombre de migrants rencontrent toutefois d’importantes difficultés en Grèce, pays où le manque de travail est criant, au point de vouloir en partir. Depuis 2019, le gouvernement conservateur a limité progressivement l’accès au logement et réduit l’aide financière accordée aux réfugiés, estimant que de telles aides stimulent l’immigration. Les réfugiés se retrouvent ainsi livrés à eux-mêmes, souvent sans toit ni nourriture.
Sources : www.infomigrants.net