La justice belge a autorisé fin janvier les associations à saisir les comptes de Fedasil, l’organisme étatique chargé de loger les demandeurs d’asile, à hauteur de près de trois millions d’euros. Cette somme correspond aux astreintes non payées par l’agence lors de précédentes condamnations. Fedasil a déposé un recours contre cette décision.
La cour d’appel de Bruxelles a donné raison aux associations. Dans sa décision du 23 janvier, le tribunal a autorisé les neufs ONG requérantes – parmi lesquelles Médecins du Monde, le Ciré ou encore la Ligue des droits humains – à saisir jusqu’à 2,9 millions d’euros sur les comptes de Fedasil, l’agence fédérale belge en charge de l’hébergement des demandeurs d’asile.
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Cette somme correspond aux astreintes imposées à Fedasil par les tribunaux ces trois dernières années. Depuis septembre 2021, l’organisme a en effet été condamné plus de 8 800 fois par la justice belge pour ne pas avoir hébergé des demandeurs d’asile, comme le droit international le prévoit. À défaut d’un toit, Fedasil était tenue de payer une astreinte pour chaque jour où un accueil n’était pas offert aux exilés. Mais l’agence, dépendante de l’État, n’a jamais versé le moindre centime.
Environ 3 000 demandeurs d’asile à la rue
« C’est dans l’optique de faire respecter ces décisions de justice et le droit d’accueil que le Ciré et une dizaines d’autres associations ont décidé de mener une action collective sans précédent en Belgique », affirment les ONG dans un communiqué publié vendredi 2 février. « Elle est aussi un rappel que nous vivons dans un État de droit et que le gouvernement ne peut pas tout simplement ignorer les décisions de justice qui lui sont imposées », prévient l’association.
En première instance, le tribunal avait débouté les ONG, sous prétexte qu’on ne peut saisir les moyens de l’État. « Mais en appel, on a démontré que l’État ne remplissait pas ses missions », explique à InfoMigrants Sotieta Ngo, directrice du Ciré.
Un premier compte – sur la quarantaine que possède Fedasil – a été saisi par les associations. Mais pour l’heure, aucune somme n’a été récupérée par les humanitaires. En effet, l’organisme a déposé un recours devant la justice, qui suspend la décision de la cour d’appel. « Le juge tranchera, ou il interpellera les juridictions internationales. Quoi qu’il en soit, nous, on ne lâche rien, on ira jusqu’à Strasbourg [à la Cour européenne des droits de l’Homme, ndlr] s’il le faut », prévient Sotieta Ngo.
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Les ONG veulent utiliser cet argent pour les « victimes de la crise de l’accueil ». Les moyens seront répartis parmi les différentes associations ou citoyens qui aident les demandeurs d’asile à la rue, et permettront d’acheter des sacs de couchage ou de participer aux frais des distributions de repas. Des nuits d’hôtels pour les demandeurs d’asile sont également envisagées.
Actuellement, la situation est catastrophique dans le pays. Environ 3 000 demandeurs d’asile vivent sur les trottoirs belges, dont une grande majorité à Bruxelles, selon les associations. La plupart, des hommes palestiniens et afghans, doivent attendre six mois pour obtenir une place d’accueil.
« La saisie de ces moyens n’aura que des conséquences négatives »
Fedasil, conscient de ce problème, dit cependant « regretter » la décision de la cour d’appel. « Notre souhait le plus cher est d’accueillir tout le monde mais on doit travailler avec les moyens qu’on a », assure à InfoMigrants son porte-parole Benoît Mansy. « On continue d’augmenter la capacité d’accueil mais ce n’est pas suffisant », constate-t-il. Selon les chiffres de Fedasil, le réseau d’hébergement comptait 28 150 places en 2021, contre 35 800 actuellement.
Pour la secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Nicole de Moor, « la saisie de ces moyens n’aura que des conséquences négatives » car le fonctionnement général de l’agence risque d’être compromis. « Au cours des deux dernières années, des efforts considérables ont été fournis pour trouver des places d’accueil supplémentaires, et des dizaines de nouveaux centres ont été ouverts. Nous poursuivons ces efforts, mais il est évident que les centres d’accueil ne suffiront pas à eux seuls à atteindre les objectifs fixés », insiste la responsable politique.
Pour gérer l‘afflux de migrants, Nicole de Moor avait déjà créé la polémique l’été dernier en donnant comme consigne à Fedasil d’accueillir dans le réseau d’accueil uniquement les personnes en familles ou en situation de grande vulnérabilité. Une mesure rapidement suspendue par Conseil d’État, qui avait rappelé qu’exclure les hommes seuls de l’hébergement était contraire à la loi.
Mais la secrétaire d’État avait, une nouvelle fois, fait fi de ce jugement. « La suspension du Conseil d’État ne signifie pas que nous avons soudainement de la place pour tout le monde. Ma politique ne changera donc pas : la priorité absolue va aux familles et aux enfants », avait-elle martelé.
Depuis des années, les ONG affirment pourtant avoir la solution à cette « crise de l’accueil » : l’activation d’un plan de répartition obligatoire dans les communes belges. « Si chaque commune accueille cinq demandeurs, la crise serait réglée », insiste le Ciré.
Sources : https://www.infomigrants.net/