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L’enfer libyen pour les migrants

Après les nombreux témoignages recueillis par les ONG, la preuve par les images, effroyables. La chaîne américaine CNN a diffusé un reportage en caméra cachée en Libye, lors d’une vente aux enchères de migrants sur des marchés aux esclaves.

L’été dernier, CNN avait reçu un enregistrement vidéo. En octobre, deux de ses  journalistes partent enquêter sur le terrain. Dans un lieu tenu secret, vraisemblablement à quelques dizaines de kilomètres de Tripoli, leurs images montrent une vente aux enchères d’une douzaine d’hommes, qui défilent tandis que les enchères montent : 500, 550, 600, 650 dinars libyens (entre 300 et 400 euros). La vente de ces hommes venus du Niger, du Nigeria, du Ghana ou du Mali, « des hommes forts pour le travail à la ferme », entend-on dans le reportage, se conclue ensuite. Ils seront envoyés pour des travaux de construction ou des travaux agricoles.

SOS Méditerranée, qui sauve des migrants chaque jour à bord de l’Aquarius, a recueilli des dizaines et des dizaines de témoignages, depuis février 2016.

Beaucoup de personnes nous ont relaté ces faits, explique Sophie Beau, co-fondatrice de SOS Méditerranée. Ils parlent soit d’esclavage, soit de travaux forcés, les gens n’ont pas forcément le même vocable pour parler de la même réalité. C’est quand même assez surprenant qu’on ait l’impression de découvrir des choses que l’on relaye depuis des mois. Cela fait partie de la traite humaine à très grande échelle en Libye, qui se caractérise par un enfermement dans les camps et la monétisation de la vie humaine. Les réseaux de trafiquants essayent de sortir de l’argent de chaque étape des migrants : le passage d’un pays à l’autre, il faut payer, d’une ville à l’autre aussi. Les personnes sont revendues entre passeurs, les migrants nous disent que cela arrive qu’ils sortent d’un pick up et qu’ils soient revendus à une autre personne, qui les parque ensuite dans un camp.

En avril dernier, l’Organisation Internationale pour les Migrations, l’OIM, institution rattachée à l’ONU, a compilé toute une série de témoignages dans ses centres de transit à Niamey et Agadez, où certains migrants trouvent refuge après s’être enfui de Libye. « Des migrants, principalement nigérians, ghanéens et gambiens, sont forcés à travailler pour le ravisseur/marchand d’esclave en tant que garde dans les maisons de rançon ou même au marché », selon un membre du personnel de l’OIM au Niger.

Déshumanisation

La co-fondatrice de SOS Méditerranée, Sophie Beau, parle d’un processus de déshumanisation : « il y a l’esclavage, mais aussi les viols généralisés, les humiliations, l’extorsion de fonds sous la torture, la vie humaine n’a pas de valeur« . L’ONG continue de secourir des centaines de personnes en mer chaque mois. « Les migrants continuent d’essayer de venir en Europe, quand on nous dit que la route est fermée, ce n’est pas vrai.  »

Pourtant, le nombre de migrants traversant la Méditerranée serait en baisse. Selon les chiffres de l’OIM, de janvier à novembre 2017, 114 000 migrants sont arrivés en Italie par la mer Méditerranée et près de 2 750 sont morts en tentant de la traverser. Ils étaient presque 165 000 à la même période l’année dernière.

Des migrants secourus en mer Méditerranée par une ONG.
Des migrants secourus en mer Méditerranée par une ONG. Crédits : Alessio Paduano – AFP

Comment expliquer cette baisse ?

L’Union européenne a conclu des accords avec la Libye pour que le pays reprennent des migrants sauvés en mer. Une enveloppe a aussi été allouée pour former et équiper des garde-côtes libyens. Depuis octobre 2016, seuls 136 marins libyens ont été formés en Italie à rechercher, secourir et endiguer le trafic d’êtres humains.

Mais selon Amnesty International France et sa vice-présidente, Cécile Coudriou, « les migrants se retrouvent coincés en Libye dans des centres de détention où ils sont torturés, pendant des mois et des mois. Désormais, avec le reportage de CNN, les rapports des ONG, on ne peut plus dire qu’on ne sait pas ce qu’il se passe dans le pays. Il faut que la politique migratoire de l’Union européenne change ».

Le 11 novembre dernier, le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) a organisé la première évacuation de migrants de la Libye vers le Niger. 25 personnes « extrêmement vulnérables », des femmes, des enfants et des hommes, ont été mis à l’abri. Pour le Haut-Commissaire de l’ONU, Zeid Ra’ad Al Hussein :

La communauté internationale ne peut pas continuer à fermer les yeux sur les horreurs inimaginables endurées par les migrants en Libye et prétendre que la situation ne peut être réglée qu’en améliorant les conditions de détention. La politique de l’UE consistant à aider les garde-côtes libyens à intercepter et renvoyer les migrants est inhumaine.

Cette évacuation reste une goutte d’eau, car selon les chiffres du Département libyen de lutte contre la migration illégale, cités par l’ONU, 19 900 personnes se trouvent dans des centres de détention début novembre.

La Libye, terreau fertile du trafic humain

A l’issu du reportage, CNN affirme avoir transmis ces images aux autorités libyennes, qui se sont engagées à lancer une enquête. Mais la Libye est un pays en plein chaos. L’Etat est inexistant, avec  depuis fin juillet un accord de cessez-le-feu entre deux chefs ennemis, sous l’égide d’Emmanuel Macron, jugé illusoire par certains. Les milices se multiplient favorisant ainsi les trafics en tout genre dans de nombreuses zones de non droit, notamment dans le sud du pays. Selon le journal italien La Repubblica, sept migrants arrivés à Lampedusa, ont témoigné des atrocités qu’ils ont vécues dans la prison clandestine de la ville de Sebha. Ils ont accepté de coopérer avec la police, avec notamment des photos pour lancer une procédure judiciaire contre leurs tortionnaires.

Les migrants sont aussi pris dans les affrontements entre groupes armés dans la ville côtière de Sabratha, devenue le principal point de départ de l’immigration clandestine vers l’Italie. Sabratha, repérée dans le reportage de CNN comme étant des lieux où se pratiquent les enchères humaines des marchands d’esclaves.

 

Sources : franceculture.fr

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