Le gouvernement autrichien maintient sa ligne dure sur l’immigration et poursuit ses expulsions de demandeurs d’asile, même ceux qui pourraient intégrer son personnel soignant.
Depuis août 2019, Safar Nijati* vit caché, dans la peur permanente d’être arrêté et expulsé vers son pays, l’Afghanistan. Sans argent et la possibilité de travailler en Autriche, cet aide-soignant de 28 ans originaire d’une vile au sud-ouest de Kaboul dépend de la solidarité d’une famille de réfugiés afghans qui l’hébergent et le nourrissent.
« Par deux fois la police a tenté de me chercher à l’endroit où j’étais enregistré auparavant », raconte Safar, arrivé en Autriche en novembre 2015. Depuis, il a appris à parler l’allemand couramment, a passé son permis et a obtenu un diplôme d’assistant médical.
Chez lui, il travaillait dans un hôpital et dans une pharmacie en province lorsque les Talibans le poussent à s’occuper d’un de leurs combattants blessés. Lorsque ce dernier succombe à ses blessures, les insurgés mais aussi ses collègues de travail menacent Safar, qui prend la fuite et quitte l’Afghanistan en septembre 2015 en payant des passeurs jusqu’en Europe.
À l’été 2019, il trouve un poste d’aide soignant bénévole dans un centre médical à Vienne. C’est là qu’il apprend que sa demande d’asile a été rejetée pour la deuxième fois. « Le juge n’a pas cru mon histoire », affirme-t-il.
Avec son diplôme en main, les compétences et l’expérience de Safar Nijati sont actuellement très demandées en Autriche. Des milliers de personnes des pays d’Europe de l’est qui traversaient les frontières pour travailler en tant que soignants auprès des personnes âgées ne peuvent plus entrer sur le territoire autrichien en raison du coronavirus.
La situation est si tendue que le gouvernement autrichien vient d’autoriser la circulation et le passage de trains spéciaux pour acheminer du personnel depuis la Roumanie, la Slovaquie et la Tchéquie. Quant à Safar, il ne peut rien faire malgré sa volonté d’aider.
Maintenant que toutes les voies légales sont épuisées pour espérer pouvoir rester en Autriche, Safar risque l’incarcération dans un centre d’expulsion d’où il serait renvoyé vers l’Afghanistan. L’un de ces centres, géré par le ministère autrichien de l’Intérieur, se trouve en pleine montagne, dans le district de Kitzbühel, dans le Tyrol. Loin de tout, les migrants y sont « affaibli psychologiquement jusqu’à perdre leur sang froid, abandonner et signer un document pour donner leur accord pour être expulsé », affirme Doro Blancke, une activiste pour les droits des réfugiés et à la tête de l’ONG Fairness Asyl.
Stigmatisation
Depuis 2015 environ 47 000 Afghans ont déposé une demande d’asile en Autriche, sur un total de près de 194 000 demandes toutes nationalités confondues. Entre janvier et octobre de l’an dernier, plus de 4 400 personnes ont été expulsées, dont 235 Afghans.
Alors que 45% des réfugiés afghans en Autriche ont obtenu l’autorisation de rester dans le pays, près de la moitié des demandes ont été rejetées. Pourtant, le nombre d’expulsions est relativement bas et reflète le fait que « lorsque des Afghans reçoivent leur troisième réponse négative, beaucoup prennent la fuite vers l’Italie ou la France et disparaissent des radars, » affirme Doro Blancke.
Elle rappelle que lors des dernières élections législatives de septembre, le party populaire ÖVP du président Sebastian Kurz a reçu quelque 250 000 votes de la part de supporters déçus du Parti de la liberté, une formation d’extrême droite. Selon la militante, le ÖVP a « besoin de continuer à faire plaisir à ces électeurs » en montrant que sa ligne sans pitié en matière de politique migratoire n’a pas faibli, d’autant plus que le ÖVP se retrouve dans une coalition inédite avec le parti des Verts.
Pour Doro Blancke, cela veut dire que la stigmatisation de certains groupes comme des réfugiés afghans continue. Ces derniers sont dépeint par les médias et politiques populistes comme étant des criminels, des violeurs et des dealers de drogue.
« Le ministère de l’Intérieur affirme que beaucoup d’Afghans ont commis des crimes », explique Doro Blancke. « Mais que sont ces crimes ? On parle de choses comme de fumer un joint, alors que vous voyez des adolescents autrichiens fumer de l’herbe dans les parcs et personne ne dit rien. Pendant ce temps, pour la même chose, de jeunes Afghans se font arrêter. Il y a une grande différence entre consommer du cannabis et le viol. Mais lorsque vous commettez un crime, même le simple fait de fumer un joint, vous perdez vos chances d’obtenir l’asile. »
La plupart des Afghans avec lesquels son ONG travaille, à l’image de Safar Nijati, « ont fait d’énormes efforts pour apprendre l’allemand et acquérir des compétences ». « Ces gens vont travailler, payer des impôts et devenir de bons citoyens autrichiens dans le futur », assure Doro Blancke. « Mais les politiques pensent que les autoriser de rester est un aimant qui va attirer d’autres personnes. »
La menace d’être expulsé
La semaine dernière, une proposition de l’ancien ministre de l’Intérieur Herbert Kickl du Parti de la liberté d’expulser les personnes rejetées par l’Autriche vers la Serbie a été rendue publique. Le groupe visé sont des personnes de nationalité étrangère qui résident illégalement en Autriche et qui ont reçu la notification de quitter le territoire mais dont l’expulsion vers le pays d’origine n’est pas possible. Par ailleurs, ces personnes doivent avoir suffisamment de liens avec la Serbie, selon le ministère. Ce dernier critère est rempli par le simple fait d’avoir « fui en passant par la route des Balkans et par la Serbie ».
Karl Nehammer, l’actuel ministre de l’intérieur du parti ÖVP a fait savoir qu’il a l’intention de maintenir un arrangement signé avec la Serbie en avril 2019. Il a cependant affirmé que cet arrangement était « irréaliste », en partie à cause des centres d’accueil surpeuplés en Serbie.
De son côté, Doro Blancke s’inquiète du traitement qui pourrait être réservé aux réfugiés si ces expulsions vers la Serbie venaient à être mises en oeuvre. « Nous avons entendu beaucoup de témoignages de jeunes gens qui ont traversé les Balkans en 2015-2016 et qui ont été frappés, abusés sexuellement ou à qui on a tout volé ».
Pour le moment, la crise de Covid-19 a rendu les expulsions vers d’autres pays de l’Union européenne impossible. Cela signifie un peu de répit pour Safar Nijati, bien que sa vie clandestine est entrain de le briser. Son travail lui manque, s’occuper de personnes dans le besoin lui manque. Alors il est pour lui d’autant plus incompréhensible de voir que l’Autriche, qui a urgemment besoin d’aide-soignants et de personnel médical, comble ce besoin par du personnel acheminé par train spécial depuis la Roumanie.
Sources :https://www.infomigrants.net/