Un campement s’est formé dans la nuit de mardi à mercredi près du bassin de la Villette dans le nord de Paris. Dans le même temps, plusieurs dizaines d’autres migrants survivent péniblement sans accès à l’eau ou à des sanitaires le long du canal Saint-Denis. Seize associations ont déposé un référé liberté.
C’est « une action coup de poing » que soutient Utopia56 : l’association d’aide aux migrants a installé un campement d’une soixantaine de personnes, dans la nuit du 26 au 27 mai, aux abord du bassin de la Villette situé dans le nord-est de Paris. Le groupe est constitué en majorité de femmes seules et de familles avec des enfants âgés de 3 mois à 12 ans. Il s’agit à la fois de personnes restées sur le carreau lors des opérations de mise à l’abri de la préfecture survenues durant le confinement, mais aussi de nouveaux arrivants.
« Avec les nouvelles mesures sanitaires, on ne peut plus vraiment compter sur l’hébergement citoyen pour l’instant. Nous avions réussi à loger ces personnes dans deux paroisses, l’une dans le 18e arrondissement, l’autre à Aubervilliers, ainsi que dans les locaux d’une entreprise », indique Florent Boyer, coordinateur d’Utopia56 pour la région parisienne, contacté par InfoMigrants. « Avec le déconfinement et la réouverture des lieux de cultes, les paroisses ont récupéré leurs locaux et l’entreprise a fait faillite. Ils se sont donc tous retrouvés dehors, sans accès à l’hygiène en pleine crise sanitaire », poursuit l’associatif.
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Depuis deux mois, assure Florent Boyer, ces exilés, principalement originaires d’Afrique subsaharienne, appellent le 115 chaque jour dans l’espoir d’obtenir un répit de quelques heures et un accès à des sanitaires pour le soir-même. « Mais personne ne leur répond, ils sont dépités », note-t-il. « Le campement devrait tenir quelques jours, on espère ainsi attirer l’attention des médias et des autorités pour trouver des solutions à ces personnes ».
Des équipes de la préfecture et de la mairie ont déjà commencé à venir les rencontrer et à les recenser. Ces personnes « seront prises en charge, comme cela a été le cas les dernières semaines » lors d’opérations de mise à l’abri, a indiqué à l’AFP la préfecture de la région Île-de-France, rappelant qu’environ 12 000 places d’hébergement d’urgence avaient été débloquées depuis la mi-mars.
« Un cycle infernal fait de campements, démantèlements et harcèlements policiers »
Cependant, leur cas est loin d’être isolé. Confinement et déconfinement n’y ont rien changé, des dizaines de migrants continuent de vivre à la rue, principalement dans le nord-est de la capitale et en périphérie, dans les villes de Saint-Denis et d’Aubervilliers. « Cela fait maintenant plus de quatre ans que nous constatons dans le nord-est parisien un cycle infernal fait de campements, démantèlements et harcèlements policiers. Quatre ans que nous interpellons, en vain, sur les atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes qui y vivent. Elles rencontrent continuellement de grandes difficultés pour avoir accès à l’alimentation, à l’eau, à l’hygiène, aux soins, à l’hébergement et à une information sur leurs droits », écrit une coalition d’associations et de collectifs dans un communiqué diffusé le 27 mai. Utopia56 fait partie des 29 signataires, tout comme le Gisti, Emmaüs France, ou Médecins du Monde,
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Bien que les campements sont désormais de plus petite taille et éparses, les associations ont dénombré au moins trois démantèlements « sans proposition de relogement » les 7 avril, 15 avril et 8 mai par les forces de l’ordre et les équipes de la mairie d’Aubervilliers sur le site du Pont de Stains. Un quatrième a également eu lieu le 15 mai à Paris, au niveau du CAP 18, à proximité de la porte d’Aubervilliers. « Nous avons interpellé le préfet de région, la préfecture de Seine-Saint-Denis, la mairie d’Aubervilliers et la mairie de Saint-Denis durant toute cette période, sans qu’aucune réponse à la hauteur de la situation ne soit proposée », affirment encore les signataires.
Devant cette impasse et pour dénoncer « l’inaction politique » en pleine crise sanitaire, 16 des 29 associations et collectifs ont déposé, mercredi, un référé-liberté portant sur trois demandes principales : « un accès à l’hébergement inconditionnel pour les personnes situées dans les lieux de campement du canal de Saint-Denis », « un accès à l’eau effectif et suffisant, ainsi que des conditions sanitaires correspondant à la réglementation (bennes à ordure, WC, douches, etc.) à proximité des lieux de campement tant qu’ils perdureront » et « l’arrêt des démantèlements et des expulsions sans mise à l’abri des personnes. »
En droit français, le référé-liberté permet d’obtenir des mesures adéquates et contraignantes lorsqu’une atteinte aux libertés fondamentales de la part de l’administration a été constatée. Le juge se prononce en principe dans un délai de 48 heures.
Du côté de la municipalité de Saint-Denis, on se dit « surpris » et un tantinet « agacés » de se voir associés à cette action en justice. « Cela fait plusieurs mois que nous n’avons plus de campements de migrants à Saint-Denis et lorsque c’était le cas, nous n’avons jamais procédé à des coupures d’eau, on a même ouvert des sanitaires », s’étonne Raphaël Perrin Autissier, attaché de presse de la mairie, joint par InfoMigrants. « Actuellement, nous avons un partenariat avec Médecins du Monde pour un accès à l’hygiène sur des petits bidonvilles, mais il ne s’agit pas d’une population de migrants. Ces derniers peuvent en revanche bénéficier de notre Maison des Solidarités qui organise régulièrement des maraudes et suit les personnes au cas par cas », ajoute-t-il.
Contactées par InfoMigrants, les préfectures d’Île-de-France, de Seine-Saint-Denis ainsi que la mairie d’Aubervilliers n’ont pas, pour l’heure, répondu à nos sollicitations.
Sources : https://www.infomigrants.net/