Les étrangères sans-papiers victimes de violences conjugales sont exclues des dispositifs mis en place pour protéger les femmes. Si des lois ont bien été promulguées ces dernières années, les obstacles sont tels qu’elles sont difficilement applicables. Les femmes migrantes se retrouvent ainsi livrées à elles-mêmes avec parfois des risques d’exploitation ou de suicide.
La lutte contre les violences faites aux femmes a été déclarée grande cause du quinquennat par le président français Emmanuel Macron dans le cadre de l’égalité entre les femmes et les hommes. Or, en ce qui concerne les étrangères en situation irrégulière, « le droit se réduit comme peau de chagrin », déplore Violaine Husson, responsable des questions genres et protection à la Cimade, jointe par InfoMigrants. Le Grenelle contre les violences faites aux femmes organisé en 2019 par le gouvernement est révélateur : la question était tout simplement absente des débats et les associations d’aide aux migrantes victimes de violences n’ont même pas été reçues par la secrétaire d’État pour l’égalité entre les femmes et les hommes de l’époque, Marlène Schiappa.
« Les femmes étrangères victimes de violences conjugales subissent une double discrimination », constate Lola Chevallier, coordinatrice de la commission femmes de la Fasti (fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s), contactée par InfoMigrants. « En réalité, la loi n’est pas faite pour protéger toutes les femmes. Les droits des étrangères sont régis par le code des étrangers : elles n’ont donc pas accès au même niveau de protection selon leur nationalité et leur situation administrative. Elles sont prises en étau entre la question du droit des femmes et celle du droit au séjour », continue-t-elle.
« Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, les choses ont un peu évolué même si on est encore loin du compte. Mais les femmes étrangères victimes de violences conjugales cumulent tout », estime pour sa part la députée communiste Laurence Cohen. « Elles sont encore plus invisibilisées que les autres ».
« Parcours de la combattante »
Des avancées ont tout de même étaient constatées même si elles sont minimes et difficilement applicables. « Pour les victimes, c’est le parcours de la combattante », affirme encore Lola Chevallier. Depuis 2016, une femme sans-papiers victime de violences conjugales peut bénéficier de plein droit d’un titre de séjour ou de son renouvellement. Mais dans la pratique, les obstacles persistent : une étrangère mariée à un homme non-français ou la femme d’un réfugié statutaire sont exclues de l’article de loi. « Dans les faits, cette loi ne concerne donc que très peu de personnes », explique Violaine Husson de la Cimade.
De plus, comme dans chaque affaire de ce type, la victime doit prouver les violences subies par son conjoint par des photos de ses blessures, des attestations de voisinage, des certificats médicaux et/ou psychologiques, des dépôts de plainte…etc. Or les femmes sans-papiers, de peur d’être renvoyées dans leur pays d’origine, n’osent pas se rendre dans un commissariat. Et de toute façon, « les plaintes des étrangères sont souvent requalifiées en main courante », signale Lola Chevallier.
À cela s’ajoute la parole de l’un contre l’autre. « Les conjoints violents en situation régulière sur le territoire français font souvent passer leurs épouses pour des femmes intéressées par leur statut administratif », déclare Violaine Husson. « Dans ces cas-là, la préfecture ne diligente pas d’enquête et va prendre pour argent comptant la parole de l’homme », poursuit-elle.
« Logique de suspicion »
Un autre article de loi pourrait permettre à ses femmes d’obtenir un titre de séjour et ainsi se défaire de l’emprise de leur compagnon violent. Une femme bénéficiaire d’une ordonnance de protection peut obtenir de plein droit un titre de séjour. Mais « beaucoup de juges refusent de délivrer cette ordonnance car ils estiment que les preuves apportées sont insuffisantes », observe Violaine Husson. Et même lorsque des étrangères arrivent à obtenir l’ordonnance de protection, il arrive souvent que « la préfecture refuse de prendre la demande de titre de séjour », ajoute Lola Chevallier.
Selon la Cimade, seulement 75 cartes de séjour ont été délivrées en 2019 pour les femmes bénéficiaires de l’ordonnance de protection – environ 2 500 ordonnances de protection ont été délivrées l’an dernier pour des femmes françaises ou étrangères.
Pour la sénatrice communiste Laurence Cohen, il y a clairement « un manque de volonté politique ». « Les amendements portés par mon groupe au Sénat sont toujours retoqués et on fait barrage à tous les niveaux », raconte-t-elle.
« Le problème est que les autorités sont dans une logique de suspicion envers les étrangères en situation irrégulière en les considérant comme des fraudeuses. Pour l’État, les femmes se disent victimes afin d’obtenir des papiers », souffle Lola Chevallier qui réclame « les mêmes droits pour toutes et tous, sans distinction de nationalité et de statut administratif ».
Risques d’exploitation ou de suicide
En effet, selon la nationalité, les règles peuvent changer. Les femmes algériennes ne sont par exemple pas concernées par ces différentes lois. « Le droit au séjour de ces ressortissantes est régi par l’accord franco-algérien, dont la dernière modification remonte à 2001 donc avant les lois liées aux femmes étrangères victimes de violences conjugales. En clair, les Algériennes n’ont droit à rien », signale Violaine Husson.
Si les sans-papiers victimes de violences ont beaucoup de mal à faire reconnaître leurs droits, certaines pratiques ont un peu changé. Jusqu’en 2011 et la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), les femmes sans-papiers victimes de violences conjugales étaient parfois placées en rétention et renvoyées dans leur pays après avoir porté plainte, affirment les associations. « Les préfectures rétorquaient que c’était pour le bien de ces femmes car elles étaient ainsi éloignées de leur conjoint violent », précise Violaine Husson. Or pour certaines de ces femmes, le retour au pays peut être synonyme de répudiation par la famille ou même d’homicide.
Pour celles qui restent en France et qui réussissent à échapper à leur conjoint, les risques sont également importants : exploitation, détresse psychologique, retour à la rue, suicide…etc. « Certaines s’exposent même à la prison car elles se défendent toutes seules », alerte Violaine Husson, qui s’interroge : « Faut-il attendre qu’elles commettent un homicide pour que le gouvernement réagisse ? »
Sources :https://www.infomigrants.net/