Pauvreté, logements surpeuplés… : les immigrés sont plus vulnérables au Covid-19, avec un risque d’infection «au moins deux fois plus élevé» que le reste de la population, affirme l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE), qui regroupe une quarantaine de pays développés, dans un rapport publié hier lundi 19 octobre 2020.
Mais à terme, c’est surtout l’impact de la pandémie sur le marché de l’emploi qui inquiète l’organisation, couplé avec une chute brutale des migrations internationales.
Le nombre de permis de séjour délivrés a chuté de presque la moitié (– 46 %) au premier semestre dans l’OCDE, même si cette diminution «pourrait être partiellement compensée» en fin d’année, comme en France où après une forte chute, les flux ont repris en juin au niveau de l’an dernier.
Une situation «sans précédent» due aux fermetures des frontières et autres restrictions sanitaires, ainsi qu’à la forte perturbation des services d’immigration et de demandes d’asile dans les pays membres entre mars et juin. En 2018 et 2019, avant la pandémie, le nombre de nouveaux immigrés permanents était en effet resté stable, à environ 5,3 millions par an.
Dans la zone OCDE, ces derniers subissent de plein fouet l’arrêt de l’activité économique et les pertes enregistrées par le secteur privé, où ils sont surreprésentés.
«Beaucoup travaillent dans les secteurs les plus touchés» (hôtellerie-restauration, services domestiques, maraîchage saisonnier…) et/ou «détiennent des contrats de travail temporaires» qui risquent de ne pas être renouvelés, affirme le rapport.
« La crise de la clémentine corse »
Aux États-Unis, par exemple, entre août 2019 et août 2020, le taux de chômage des personnes nées à l’étranger est passé de 3,1 % à 10,2 % (contre une progression de 3,9 % à 8,1 % pour les natifs).
Des tendances similaires sont observées en Europe, où comme ailleurs, on ne devrait pas retrouver tout de suite le niveau d’emploi d’avant la crise, «même d’ici fin2021», souligne l’OCDE.
Or, «les travailleurs immigrés jouent un rôle essentiel dans certains secteurs, des pays l’ont découvert avec cette crise», souligne Jean-Christophe Dumont, chef de la division migrations internationales de l’OCDE.
«On peut dire que c’est le cas de la France, illustré de façon très symptomatique par la crise de la clémentine corse» le mois dernier, lorsque les autorités françaises ont annoncé l’acheminement de plus de 900 travailleurs marocains sur l’île afin de sauver les récoltes, en l’absence de main-d’œuvre locale suffisante, poursuit-il.
Les immigrés ont structuré des secteurs entiers — la production maraîchère qui irrigue l’Europe en Espagne, l’industrie hôtelière en Autriche, l’industrie chimique et automobile en France… – rappelle également Jean-Christophe Dumont, qui regrette l’absence de dimension sectorielle dans les politiques migratoires actuelles.
« Ils sont au cœur de la reprise économique »
«Si on veut relocaliser ou développer certaines filières [dans nos pays, NDLR], il faut aussi s’interroger: sur quelle main d’œuvre va s’appuyer cette production industrielle?», poursuit Jean-Christophe Dumont.
Autre inquiétude : alors que la situation des immigrés sur le marché du travail s’était améliorée ces dernières années (plus des deux tiers des immigrés avaient un emploi en 2019), les responsables de l’OCDE estiment que «les conséquences économiques de la pandémie de COVID-19 pourraient faire reculer les progrès réalisés».
«L’intégration fonctionnait auparavant grâce à l’éducation, à l’apprentissage de la langue, (…) et les travailleurs immigrés pouvaient démontrer leurs compétences au même titre que les autochtones, a déclaré le président de l’OCDE, José Angel Gurria. Et en un instant, tout est remis en question à cause de cette pandémie».
«Depuis le début de l’année, les migrants et leurs familles sont durement frappés, ce qui pose un gros problème d’intégration et d’inclusion», a renchéri la commissaire européenne aux Affaires intérieures, Yvla Johansson, pointant le «risque de décrochage scolaire» des élèves dont les parents n’ont pas toujours le niveau de langue ou d’éducation nécessaire pour les aider ni les moyens de leur payer un ordinateur ou l’accès à internet.
«Nous avons besoin de travailleurs qualifiés, mais aussi moins qualifiés (…) ils sont au cœur de la reprise économique», a-t-elle insisté. «C’est un investissement à long terme et les gouvernements ne doivent pas réduire la voilure des programmes d’intégration».
Sources : https://www.paris-normandie.fr/