Pour de nombreux migrants passés par le Brésil ou le Suriname, la Guyane est à la fois une terre de destination et de transit vers la France métropolitaine. Face à la hausse des arrivées, son fragile système de prise en charge des demandeurs d’asile est totalement saturé. Reportage.
« Les arbres sont différents, il fait chaud et l’eau de la mer est marron. » Ces quelques observations, formulées à l’ombre d’un palmier desséché, seront les seules. Dix mois après être arrivé à Cayenne, Ali, réfugié syrien de 24 ans originaire de Hama, n’a que peu de commentaires à faire sur la Guyane.
Ce territoire français, situé en Amérique latine, était pourtant depuis longtemps dans son esprit. Le jeune homme a quitté la Syrie en 2017 et est passé par le Liban et le Brésil, pays qui délivre des visas humanitaires aux personnes touchées par le conflit syrien. Au terme de ce colossal détour, pour éviter de se frotter à la Méditerranée et aux frontières européennes, cet étudiant tatoué et rasé de près a atterri ici, sous le soleil de Cayenne qui brûle les façades des bâtiments défraîchis.
« Au début, j’ai dormi à la rue, et j’ai attrapé la dengue », raconte Ali, confronté pour la première fois aux infections tropicales. « J’ai été tellement malade… » Il est désormais hébergé avec 35 autres hommes dans un centre d’urgence surnommé « La Fabrique » : un hangar monté à la hâte au début de la pandémie de Covid-19 dans lequel il fait une chaleur irrespirable.
À ses côtés, Ziad* ne s’attarde pas sur son expérience guyanaise. Les questions de ce Yéménite de 19 ans fusent : « Comment c’est, la vie à Paris ? Il vaut mieux aller à Paris ou dans d’autres villes ? Est-ce que c’est facile de trouver un logement ? »
Pour ces deux hommes, la Guyane n’est en effet rien d’autre qu’une porte cachée vers la France métropolitaine où, veulent-ils croire, « des opportunités et une nouvelle vie » les attendent. Le passage n’est plus tellement secret.Autrefois quasi inconnue, la région est apparue ces dernières années sur les radars des demandeurs d’asile venus du Moyen-orient. Les migrants y vont dans l’espoir d’obtenir l’asile puis de décrocher un titre de voyage pour s’envoler vers Paris. Le DOM est ainsi devenu une destination qui, sitôt atteinte, se transforme en une étape de plus.
« La communauté syrienne, à elle seule, fait déborder le dispositif d’accueil »
Sur Internet, le filon a rapidement gagné en popularité. Majoritairement des Syriens – pour beaucoup des hommes refusant d’effectuer leur service militaire – mais aussi des Palestiniens, des Jordaniens, quelques Yéménites venus, eux, via l’Équateur – sont arrivés en nombre ces dernières années. « Ces migrants représentaient moins de 10 % des demandeurs d’asile en Guyane en 2017-2018 », précise Benoît Renollet, directeur de la Croix-Rouge Guyane, chargée de leur hébergement. « Mais l’année dernière, ce taux a grimpé à 30-40 %. »
Il s’ajoute notamment aux Haïtiens, très nombreux, aux Vénézuéliens et, depuis cet été, aux Cubains qui arrivent par le Suriname voisin. Sauf que, désormais, le fragile système d’accueil craque de tous les côtés.
« Depuis 2020, la communauté syrienne, à elle seule, fait déborder le dispositif d’accueil », commente Lucie Curet, responsable de l’action en rétention outre-mer pour la Cimade. Il faut dire que les places d’hébergements sont rares, incapables de pourvoir aux demandes des 2 821 dossiers d’asile enregistrés en 2019 : aucune structure Cada (centres d’accueil pour demandeurs d’asile) n’existe sur le territoire guyanais et les options de logement se limitent en tout et pour tout à 600 places. Cette capacité sera par ailleurs revue à la baisse d’ici à la fin de l’année, date à laquelle un centre d’hébergement d’urgence de Cayenne doit fermer ses portes pour laisser la place à un commissariat de police.
L’absence de Cada et le peu d’hébergements disponibles dans un territoire pourtant au cœur d’une route migratoire trahissent, selon certains, une volonté, ou plutôt une absence de volonté, de la part des autorités. « L’outre-mer est le seul territoire de France sans dispositif concerté sur les demandeurs d’asile. Les autorités ont peur de ‘l’appel d’air' », observe encore Lucie Curet.
Avec un taux de chômage à 19% en 2019 – contre seulement 8,1 % en métropole -, et une moitié de la population qui vivait sous le seuil de pauvreté en 2017, la Guyane n’aurait par ailleurs pas « les moyens de la solidarité », lâche-t-on avec amertume du côté des associations. « Il y a une forte demande de logement social, poursuit Lucie Curet. Ce serait mal vu que des hébergements soient dédiés à des étrangers. »
Des « exceptions guyanaises » fustigées
Nisrin et Oubey, une mère et son fils de 12 ans originaires de Soueïda en Syrie, font partie de l’immense majorité des demandeurs d’asile n’ayant pu accéder ni aux centres d’hébergements d’urgence (HUDA), ni aux chambres d’hôtel – en février dernier, entre 5% et 10% des demandeurs d’asile seulement étaient pris en charge par les services de l’État, contre 47% en métropole.
Depuis un mois, ils campent sur la pointe Buzaré, petit coin de sable blanc en bordure d’océan, aux côtés de 80 personnes, des migrants cubains et des familles syriennes avec enfants. Leurs toiles de tente protègent mal des averses fréquentes. « Avant-hier, on n’a pas pu dormir, il y avait de l’eau partout », se plaint Nisrin, assise sur des morceaux de carton, le visage dépassant derrière un drap tendu.
Oubey, les jambes mangées par les moustiques, joue avec d’autres enfants et des chiens sales qui se baignent dans les flaques. « Je ne veux pas aller à l’école », boude-t-il sous ses boucles blondes. Le garçon a honte de sa situation. « Je n’ai même pas d’affaires, comment je fais devant les autres enfants si je n’ai pas de vêtements à me mettre ? », se lamente-t-il alors que le port de l’uniforme dans les écoles guyanaises est courant.
Suite au rejet de leur demande d’asile, Nisrin a déposé un recours, procédure qui peut durer de longs mois. Un délai de traitement que dénoncent les acteurs associatifs. Ils fustigent également les « exceptions guyanaises », comme le montant de l’ADA (aides financières pour les demandeurs d’asile) qui est plus faible qu’en métropole, ou les délais raccourcis de 21 à 7 jours pour l’envoi des récits, justifiant une demande d’asile, à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides). « Ici, c’est un laboratoire. On teste des choses avant de les mettre en place au niveau national », peste Pauline Mequillet, co-fondatrice de l’association Upaya, née d’un collectif citoyen d’aide aux migrants.
« Le jour où les frontières vont rouvrir, je ne sais pas comment on va faire »
Malgré tous ces obstacles, la tentation d’entrer par la porte guyanaise reste grande. Actuellement des dizaines, voire des centaines de migrants s’amasseraient dans les environs d’Oiapoque, de l’autre côté du fleuve qui sépare ce territoire français du Brésil, dans l’attente de la réouverture des frontières fermées en raison du Covid-19.
« Nous sommes clairement au maximum de nos capacités », s’inquiète Olivier Morel, responsable administratif et financier, Croix-Rouge française en Guyane, alarmiste en pensant aux prochains mois. « Le jour où les frontières vont rouvrir, je ne sais pas comment on va faire. »
Ali espère ne plus être dans les parages à ce moment-là. Mais pour cela, il lui manque plusieurs centaines d’euros pour pouvoir se payer un billet d’avion vers l’Hexagone où il aimerait poursuivre ses études. Alors ce fils de boulanger a monté un petit business sous le manteau. « Je vends du pain syrien que je fabrique ici », dit-il en montrant un tas de cendres, les restes d’un feu de camp, sur le terrain de La Fabrique. « Pour 10 heures de travail, je gagne entre 10 et 20 euros. » La Guyane devrait être son horizon pendant encore quelques mois.
Sources : https://www.infomigrants.net/