« J’ai été forcé d’enterrer un enfant de six ans » : le calvaire de Christian en Libye
Christian a contacté la rédaction d’InfoMigrants pour raconter son séjour en Libye. Traumatisé par ce qu’il a vécu, ce Camerounais de 37 ans, qui vit aujourd’hui en Italie, veut faire la lumière sur les atrocités que subissent les migrants dans ce pays, « en espérant que certains prendront conscience des risques ».
« Je m’appelle Christian*, j’ai 37 ans, je suis originaire du Cameroun. Je vais vous raconter mon passage en Libye car ce qui s’est passé est terrible, je ne le souhaite à personne. Je veux que ceux qui veulent quitter leur pays prennent conscience des risques qu’ils encourent.
Je suis arrivé en Libye le 5 janvier 2017. Mon passage dans ce pays a duré trois mois et demi, ça a été un enfer. Dès mon arrivée à Tripoli, j’ai compris que la vie allait être difficile.
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Après avoir traversé le désert, on a été déposés dans une maison de la capitale libyenne, où les passeurs devaient venir nous chercher.
Avant de monter dans le taxi pour aller dans un camp, les coxers [intermédiaires des passeurs, ndlr] nous ont fouillés et ont pris toutes nos affaires : notre argent, nos téléphones, nos bijoux… tous nos objets de valeur.
Le passeur est venu nous chercher vers 2h du matin, pour ne pas être repéré. C’était la guerre à cette époque à Tripoli, les combats étaient proches de nous. Prendre la route de nuit était moins dangereux.
« Des gens sont morts sous mes yeux »
Nous sommes arrivés dans un camp, en banlieue de Tripoli. On était plus de 2 000 migrants à l’intérieur, dont des femmes et des enfants. On était entassés les uns sur les autres, on mangeait très peu, on ne se lavait pas.
Les hommes qui nous retenaient nous exploitaient : ils nous obligeaient à travailler sur des chantiers à proximité du camp. Lorsqu’on se reposait quelques secondes ou qu’on discutait entre nous, ils nous fouettaient. Parfois, ils nous frappaient juste pour le plaisir.
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Ils ont tué des gens qui s’étaient rebellés, sous mes yeux. Certains migrants sont morts à la suite de torture, et de coups de fouets. Un enfant de six ans est mort de malnutrition. La nuit, des hommes venaient chercher des femmes et les forçaient à les suivre en pointant une arme sur leur visage. Elles étaient violées un peu plus loin. Toutes les femmes qui sont passées par la Libye ont été violées au moins une fois.
On avait tellement peur qu’on ne dormait presque pas la nuit. On ne pouvait pas s’enfuir, les combats nous entouraient et de toute façon, nous serions allés où ?
« Un rebelle a pleuré quand il a vu le cadavre d’un enfant »
Je suis resté deux mois dans ce camp. Un jour, les gardiens nous ont mis dans des véhicules pour nous transporter vers un autre camp, car la zone était devenue trop dangereuse. On était environ 300 à l’arrière d’un camion de marchandises.
Sur la route, il y a eu une altercation entre des rebelles et les passeurs. Il y a eu des échanges de coups de feu et les rebelles ont pris le contrôle du véhicule. À l’intérieur, les migrants criaient, on avait tous peur. Il faisait trop chaud, on pouvait à peine respirer. Certains ont sauté du camion, d’autres sont morts sur le trajet.
Les rebelles nous ont envoyés dans une prison non officielle. Je ne savais pas où nous étions. Les hommes, qui portaient des cagoules et des armes, nous ont ordonné de sortir les corps du véhicule, il y en avait environ 15. L’un des bandits a découvert son visage et s’est mis à pleurer lorsqu’il a vu le cadavre d’un jeune enfant. Cette scène m’a marqué.
Le lendemain, ils nous ont demandé d’enterrer les corps. Avec trois autres hommes, j’ai dû m’occuper des 15 cadavres, dont celui de l’enfant. Pendant qu’on les enterrait, les Libyens qui nous surveillaient se sont un peu éloignés. C’était l’heure de la prière. J’ai profité de ce moment pour m’enfuir.
J’ai croisé des Tchadiens sur la route qui m’ont aidé et ont payé mon transport pour retourner à Tripoli.
« L’immigration est un business »
J’ai compris lors de mon passage en Libye que l’immigration était un business, une source de revenus pour de nombreux Libyens. Là-bas, le Noir est synonyme d’argent. On est considérés comme du bétail, même les chiens sont mieux traités que nous.
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Après avoir tenté ma chance une fois en mer Méditerranée, et manqué de me noyer, j’ai repris la mer quelques semaines plus tard. Cette fois, j’ai eu plus de chance et j’ai été secouru par un navire humanitaire, qui m’a déposé en Italie.
Aujourd’hui, je vis à Rome depuis plus de quatre ans. La protection subsidiaire m’a été refusée, j’attends la réponse à mon recours pour un titre de séjour, pour régulariser ma situation. J’ai repris des études en Italie mais j’ai dû arrêter quand j’ai été débouté. Mes galères ne sont pas terminées. »
Sources : https://www.infomigrants.net/