Il est le joueur africain actif qui compte le plus de saisons en NBA – et il vient d’entamer sa 13ème année consécutive. Mais le pivot congolais naturalisé espagnol Serge Ibaka n’est pas qu’un basketteur de talent. Influenceur, homme d’affaires, celui qu’on surnomme « Air Congo » s’est investi dans de multiples projets notamment au Congo-Brazzaville dont il est natif.
5 Juin 1997. États-Unis. Michael Jordan, le plus grand joueur de tous les temps brille de mille feux et fait rêver la planète basket en amenant son équipe des Chicago Bulls au titre NBA face au Jazz d’Utah, dans l’une des finales les plus épiques de l’histoire du sport. De l’autre côté de l’océan, en Afrique centrale, l’ambiance est toute autre. Serge Ibaka, âgé de seulement de 7 ans, essaye avec sa famille de ne pas succomber aux tirs d’armes lourdes et aux bombardements de la guerre civile au Congo-Brazzaville. Un épisode de sa vie traumatisant, qui sera l’un des évènements qui construira la personnalité de l’actuel pivot des Los Angeles Clippers.
Serge Ibaka est né à Brazzaville en septembre 1989, dans une fratrie de 18 enfants. Son père Désiré, et sa mère Amado, anciens basketteurs ayant brillé dans le pays durant leur jeunesse, lui ont donné le goût pour la balle orange, malgré le contexte de violence quotidienne qui l’entourait, lui et sa famille.
« Je n’oublierai jamais les premières fois sur le terrain de basket, j’entendais les bruits des balles dans la rue et les violences dans le quartier », se souvient Serge Ibaka. « Cet épisode de ma vie reste déterminant dans mon parcours, car c’est dans cet environnement de tension que je suis tombé amoureux de ce ballon orange qui m’a sauvé la vie. C’est, en quelque sorte, une graine qui est née en moi dans un terrain miné et dangereux. Ça montre bien que tout est possible, qu’il faut lutter contre les barrières que la vie peut nous mettre en face ».
« Je porte le numéro 9 pour ma mère »
Les années de sa jeunesse sont marquées par un autre drame : la mère de Serge décède alors qu’il vient de fêter son neuvième anniversaire. « Je porte le numéro 9 pour elle, et c’est son énergie qui me fait avancer chaque jour », dit-il. Je sais qu’elle est fière de moi, de là-haut. Je lutterai toute ma vie avec l’amour de ma mère, pour ma famille, pour réaliser mes objectifs ».
La famille de Serge sent que la tension monte à Brazzaville. Désiré, le chef de famille, décide de faire partir la famille à Ouesso, dans le nord du pays, loin des coups de feu et de la mort qui peut frapper à chaque coin de rue. Là, dans cette petite ville au milieu de la forêt, à la frontière avec le Cameroun, l’accès à l’eau n’est pas quotidien, et l’électricité n’est pas un confort permanent.
Mais Serge travaille dur, s’adapte à la situation et se concentre sur l’école et le basket. « Ça a été un choc, je ne vais pas vous mentir. Vivre dans une très grande ville puis s’exiler dans une plus petite, loin de chez moi, ça a été difficile. Mais ce n’est pas ma personnalité de me plaindre ou de baisser les bras. J’ai pris ce moment comme une épreuve de plus à surmonter, ni plus ni moins », raconte-t-il.
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Le jeune Serge pense d’ailleurs déjà à sa prochaine étape : l’Europe. L’adolescent rêve d’y percer en tant que basketteur.
Son oncle, déjà présent en métropole, dans la région de Tours, l’aide à venir et lui fait faire des essais dans plusieurs clubs parisiens et du centre de la France. Malgré le talent flagrant d’Ibaka, les tentatives sont non concluantes. Pas de quoi briser les ambitions du basketteur, qui se met dans l’objectif de percer ailleurs, plus au Sud, de l’autre côté des Pyrénées. « Je savais qu’en continuant à travailler et à taper aux autres portes, une s’ouvrirait un jour pour moi. Je n’ai jamais douté », sourit-il.
Une ambition sans frontières, et sans limites
Et la porte s’est ouverte. L’aventure espagnole démarre par le biais d’un agent catalan, Pera Capdevilla, qui avait déjà repéré le talentueux jeune Congolais, à travers ses exploits en équipe de jeune dans son pays et au gré des camps de basket sur le continent.
Pour lui, pas de doute, Ibaka est un diamant brut. « Quand je l’ai vu jouer la première fois, j’avais une certitude : Serge est un talent pur à polir, et sa personnalité, son parcours sinueux font de lui un homme déterminé, un battant. Il avait tous les éléments en main pour devenir là où il en est aujourd’hui, c’est à dire une star du basket mondial, et le joueur Africain actif qui compte le plus de saisons consécutives dans la meilleure ligue de basketball du monde », sourit le cinquantenaire, qui est une sorte de second père pour Ibaka.
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En Espagne, Ibaka signe avec le club de Manresa, qui le prête à L’Hospitalet, en banlieue de Barcelone. Il vit dans un petit appartement avec 4 autres joueurs venus du continent qui tentent, comme lui, de percer dans le monde professionnel. « On a été très solidaire, on se serrait les coudes, c’était comme une famille de substitution, se remémore-t-il.
« Un samedi soir, très tard, Serge s’entraînait… »
Malgré ses 18 printemps, Serge Ibaka est déjà un travailleur acharné en deuxième division espagnole. « Il était le plus jeune de l’équipe, mais avait une éthique de travail déjà exceptionnelle. Il passait un nombre incalculable d’heures à la salle. Il venait le premier à l’entrainement, et repartait le dernier, tout le temps » cite Juan Rodrigo, son premier entraineur en Catalogne. Et de poursuivre.
« Au bout de quelques semaines, il est venu me voir dans mon bureau et m’a demandé s’il pouvait avoir un double des clés de la salle d’entrainement. Je lui ai dit ok mais qu’il fallait aussi qu’il se repose, car la récupération aussi est importante. Peu de temps après, l’un des intendants du club est venu chercher quelque chose à la salle très tard, un samedi soir, et il a été surpris de voir Serge s’entrainer, alors que nous avions joué quelques heures auparavant ! Il dormait aussi souvent à la salle, sur des matelas de gymnastique. Quand on met autant d’énergie et de sacrifice pour sa passion, il ne peut que t’arriver de grandes choses« .
Tout ce travail ne passe pas inaperçu pour les recruteurs de la NBA, qui prêtent une attention très particulière au jeune talent venu de Brazzaville.
Quand les portes de la NBA s’ouvrent enfin
Au début de l’été 2008, la meilleure ligue du monde s’ouvre à lui. Sélectionné en 24ème position par les Oklahoma City Thunder, Ibaka est enfin un joueur de l’élite mondiale de son sport. Il débarque dans le sud-ouest des États-Unis en toute discrétion, mais ne se fait pas attendre pour devenir un élément incontournable de la franchise au maillot bleu et orange.
En moins d’une saison, il devient titulaire dans l’équipe sensation de la ligue, aux côtés des stars Kevin Durant, Russell Westbrook et James Harden. L’ascension météorique de l’enfant du Congo fait sensation, et il est sélectionné deux fois durant ses années dans l’Oklahoma dans la meilleure équipe-type défensive de la saison. Un fait extrêmement rare pour un joueur étranger dans la ligue nord-américaine.
Après 7 saisons, il part à Orlando, puis rejoint le grand Nord canadien, à Toronto, pour l’une des plus belles pages de sa carrière. « J’ai même amené le trophée Larry O’Brien [trophée décerné chaque année par la NBA à l’équipe championne des playoffs NBA, ndlr] au Congo. J’ai fait un défilé dans les rues de Brazzaville pour partager ce succès avec les miens, et montrer que si moi j’ai réussi, eux aussi le peuvent. Avec ce titre, je voulais transmettre un message d’espoir et de motivation pour la jeunesse des deux Congo ».
« Air congo »
Actuellement pensionnaire des Los Angeles Clippers et dans sa 13ème saison, celui que l’on surnomme « Air Congo » ne veut pas réduire sa vie à sa carrière sportive. « Fashionista, athlète, influenceur, cuisinier, chanteur, danseur, Youtubeur, je ne sais plus comment définir Serge tellement il est actif et investi dans plusieurs domaines. C’est bien plus qu’un athlète, il a compris que le sport de très haut niveau aide aussi à s’ouvrir sur d’autres domaines. C’est un exemple pour nous tous », précise son coéquipier en club et ami proche, le français Nicolas Batum.
Avec plus de 3,2 millions de followers sur les différents réseaux sociaux, il est l’une des personnalités africaines les plus influentes. Amoureux de gastronomie et voulant constamment faire la promotion de son pays, il a créé en 2017 sur sa chaine Youtube, le show How hungry are you* qui cartonne sur la toile. Il se présente sous son surnom Mafuzzy Chef, et y prépare des plats africains à des célébrités du monde du sport et de la télévision, comme les stars NBA Kevin Durant, Kawhi Leonard et l’actrice Tiffany Haddish.
Mais son dernier grand projet est lié au monde de la musique. « C’est aussi une manière d’exprimer mon amour pour la culture Congolaise, et de m’amuser » sourit-il, du haut de ses 2m11.
Après un premier feature aux côtés de Dadju pour le titre « Mafuzzy style » en 2018, Ibaka est passé à la vitesse supérieure en sortant il y a quelques mois, en tant qu’artiste principal, le titre « Champion » avec Ninho (13 millions de vues sur Youtube), puis « LEGGO » avec Tayc (5 millions de vues) et « Rumba » avec Guy2BezBar (1 million de vue).
Fondation Serge Ibaka
« Ça parle de la vie, de l’amour, de sujets qui concernent mes compatriotes et leur quotidien. Je suis l’un d’entre eux, et j’utilise aussi cette tribune qui m’est offerte pour parler de ce qui se passe au Congo. Je suis Congolais, et très fier de l’être, cela ne changera jamais. Je serai un ambassadeur du pays toute ma vie ».
Le pays dans le cœur, la terre natale dans l’âme, Serge Ibaka se sert aussi de sa notoriété pour la jeunesse en difficulté, par le biais de sa fondation qui porte son nom. « Il aime aider, donner aux autres sans que cela soit une publicité pour lui. Il est comme ça, il a le cœur sur la main et il est très conscient de la chance qu’il a et des galères qu’il a traversées. Il souhaite aider les jeunes qui veulent atteindre les mêmes rêves que lui », explique Jordi Vila, l’un de ses amis très proche, qui gère les projets sociaux-éducatifs de la fondation Serge Ibaka.
En investissant massivement au Congo, ses actions vont de la construction d’orphelinat à celle de centre de santé, aux quatre coins du pays. Un exemple, parmi tant d’autres, qui fait de Serge Ibaka un homme actif sur tous les terrains, et qui n’oublie jamais d’où il vient.
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