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En Libye, un jeune Soudanais brûlé à l’essence par un passeur

Abdullah a 18 ans. Ce jeune Soudanais originaire du Darfour est aujourd’hui hospitalisé dans un état grave à l’hôpital de Tripoli, en Libye. Pendant plusieurs semaines, il a été détenu au sud de la ville de Sebbah par un passeur qui l’a torturé pour obtenir une rançon. L’argent n’arrivant pas, l’homme l’a couvert d’essence et lui a mis le feu.

Le corps d’Abdullah est entièrement bandé. Seuls son visage et ses mains ne sont pas couverts de pansements. Dans son lit d’hôpital, le jeune Soudanais de 18 ans n’a pas besoin d’assistance respiratoire mais est toujours sous morphine pour limiter ses douleurs. « Les médecins disent qu’il devrait pouvoir sortir dans trois mois », affirme Hassan Zakaria, un Soudanais qui veille sur le jeune homme depuis son arrivée à Tripoli, lors d’un entretien accordé à InfoMigrants début janvier.

C’est à Sebbah, à près de 800 kilomètres au sud de Tripoli, qu’Abdullah a été agressé. Cette grande ville du centre de la Libye est un carrefour des routes migratoires qui traversent le pays. C’est par là que, venant du Soudan, du Tchad, du Niger ou d’Algérie, on rejoint les villes de Tripoli, mais aussi de Syrte et Misrata.

Abdullah, lui, est originaire du Darfour, une région de l’ouest du Soudan ravagée par la guerre depuis près de 20 ans. Comme beaucoup d’autres jeunes Soudanais, Abdullah a payé un passeur au Soudan pour franchir la frontière libyenne. Il a fait le voyage depuis le Soudan jusqu’à Sebbah avec son ami Bachir.

Les deux jeunes hommes espèrent poursuivre leur route jusqu’à Tripoli et plus tard, éventuellement, jusqu’en Europe. Mais à leur arrivée à Sebbah, ils sont enlevés par un passeur qui contrôle le sud de la ville. L’homme veut leur extorquer de l’argent et les torture pour forcer leurs familles à payer des rançons.

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« Le punir et faire peur aux autres »

Mais l’argent n’arrivant pas, « le passeur a aspergé Abdullah d’essence et lui a mis le feu, pour le punir et aussi pour faire peur à tous les autres », explique Hassan Zakaria qui traduit à InfoMigrants les propos d’Abdullah depuis sa chambre d’hôpital.

Hassan Zakaria est membre de la communauté soudanaise de Tripoli. Il veille sur Abdullah depuis le début de son hospitalisation dans la capitale libyenne. Crédit : DR
Hassan Zakaria est membre de la communauté soudanaise de Tripoli. Il veille sur Abdullah depuis le début de son hospitalisation dans la capitale libyenne. Crédit : DR

Brûlé sur tout le corps, Abdullah est hospitalisé pendant dix jours à l’hôpital de Sebbah. « La police lui a rendu visite là-bas, rapporte Hassan Zakaria. Ils lui ont dit qu’ils recherchaient le passeur qui l’avait agressé mais qu’ils ne le trouvaient pas parce que personne ne le connaissait. »

Abdullah est ensuite transféré à Tripoli, dans un hôpital spécialisé dans le traitement des grands brûlés. Le jeune homme y est toujours soigné et ses jours ne sont plus en danger mais son état de santé reste extrêmement fragile.

Interrogé par InfoMigrants sur cette agression, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a indiqué « ne pas faire de commentaire sur les situations individuelles pour des raisons de protection et de respect de l’intimité [des personnes] ». « Les cas de personnes victimes d’abus aux mains de trafiquants ou de bandes criminelles sont malheureusement bien documentés », a ajouté l’agence.

Discrimination et attaques xénophobes

Dans son rapport de décembre 2021, la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA, selon l’acronyme anglais) pour la Libye a souligné que « les migrants et les réfugiés originaires des pays subsahariens et de la Corne de l’Afrique continuent d’être victimes de discrimination et d’attaques xénophobes« .

Depuis l’été 2021, les cas de violences contre les migrants se multiplient en Libye. Et les auteurs peuvent être aussi bien des policiers que de simples passants. Plusieurs personnes ont raconté à InfoMigrants s’être fait tirer dessus en pleine rue, « sans raison ».

>> À (re)lire : Hausse des départs de Libye : depuis le cessez-le-feu, les migrants font face à une recrudescence des violences

Cette multiplication des exactions s’explique par la fin des combats en Libye après le cessez-le-feu d’octobre 2020. « Les groupes armés ne combattent plus et n’ont plus de revenus liés à la guerre. Ils se tournent donc vers les migrants » pour leur extorquer de l’argent, analysait en juillet dernier Liam Kelly, du Danish Refugee Council.

Enfer des prisons

Depuis la chute du dictateur libyen Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est devenue une voie privilégiée pour des dizaines de milliers de migrants cherchant à rejoindre l’Europe. Mais beaucoup s’y retrouvent bloqués, dans des prisons décrites par les exilés comme un « véritable « enfer ». Parmi les solutions pour en sortir : payer. Un système révélé à InfoMigrants par de nombreux exilés. Comme Assane*, qui a été enfermé dans une prison clandestine près de Zaouïa. « Je n’étais plus utile donc les gardiens ont accepté de m’échanger contre de l’argent. C’est un ami qui a payé pour me libérer ».

>> À (re)lire : « Chaque matin, les gardiens nous frappaient avec leurs armes », le calvaire d’Assane enfermé dans une prison clandestine en Libye

Daouda*, un autre migrant de 19 ans originaire de Guinée, a dû lui aussi réclamer de l’argent à son père pour sortir de prison. « Mais le temps [qu’il] réunisse l’argent, il était déjà trop tard », raconte sa sœur. Le jeune homme est mort en prison, abattu par les gardiens lors d’une tentative d’évasion.

Salif*, qui pour sa part a tenté de traverser la Méditerranée depuis la Libye à six reprises, explique que « quand les migrants sont renvoyés dans un port libyen, ils sont transférés en centre de détention. Là-encore, il faut payer pour en sortir. La somme est de 3 000 dinars libyens [environ 550 euros, ndlr]. D’ailleurs, la première chose que les gardiens nous demandent en arrivant, c’est : ‘Qui a de l’argent pour sortir de prison ?' ».

*Les prénoms ont été modifiés

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Source: https://www.infomigrants.net

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