Expulsions des « étrangers délinquants » : Darmanin vante sa fermeté, mais « ne propose rien de nouveau »
Le ministre français de l’Intérieur a annoncé que les expulsions d' »étrangers délinquants » étaient en augmentation et que des « changements législatifs » allaient être débattus à la rentrée pour soutenir cet « effort ». Les déclarations faites par le ministre manquent toutefois de nuances, voire sont trompeuses, indiquent des experts en droit des étrangers.
Davantage de places en rétention, davantage de forces de l’ordre, moins de restrictions quant aux expulsions… Le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’arrête plus les déclarations en faveur d’une fermeté accrue envers les étrangers. Dans son collimateur en particulier : les “étrangers délinquants”.
Lors d’une visite à Lyon, samedi 30 juillet, le ministre a assuré que quelque 3 000 « étrangers délinquants » avaient été expulsés en deux ans de France, sans préciser leurs nationalités ni les faits reprochés. « Une augmentation sans précédent », s’est félicité le locataire de la place Beauvau. « Et on doit continuer à le faire. »
Dans cette perspective, Gérald Darmanin a dévoilé tout un arsenal. Matériel, d’abord. À Lyon, justement, il a inauguré le nouveau centre de rétention administrative (CRA) servant d’antichambre aux expulsions, ouvert en janvier dernier. Il a par ailleurs annoncé l’ouverture d’un second CRA, prévue pour début 2023, et portant le nombre de places disponibles dans l’agglomération à 280. « 200 nouveaux policiers aux frontières y seront affectés », a-t-il précisé.
Lever « toutes les réserves » empêchant les expulsions
L’arsenal brandi par Gérald Darmanin se veut également juridique. Le ministre a évoqué son souhait d’initier à la rentrée des « changements législatifs » à propos des procédures d’expulsion. Objectif : lever « toutes les réserves » empêchant l’expulsion du territoire des étrangers délinquants. Ces « réserves » peuvent notamment concerner le fait d’avoir contracté un mariage ou d’être arrivé sur le territoire « avant un certain âge », indique le ministre de l’Intérieur.
Le premier policier de France souhaite par exemple supprimer la disposition législative selon laquelle un étranger arrivé en France avant l’âge de 13 ans ne serait « pas expulsable ». Il précise que ces expulsions ne s’appliqueraient qu’en cas de « crimes et de délits graves ».
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Point par point, les déclarations faites par le ministre semblent toutefois manquer de nuances, voire être trompeuses, d’après des spécialistes en droit des étrangers. « Tout ce qu’il dit est politique, c’est fait pour faire croire à l’opinion publique que la loi est extrêmement protectrice envers les étrangers délinquants, ce qui est totalement faux, du moins selon nous », commence Marc Duranton, juriste auprès de La Cimade.
« C’est fallacieux de présenter les choses de la sorte »
D’abord, les choses sont bien plus nuancées que cela en ce qui concerne les « réserves » aux expulsions. “Le simple fait d’être marié.e à un.e ressortissant.e français.e n’empêche pas du tout le prononcé d’une expulsion”, recadre Marc Duranton. “La seule condition du mariage n’est pas suffisante pour stopper une procédure d’expulsion. C’est fallacieux de présenter les choses de la sorte. »
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Expulser un étranger en situation régulière est théoriquement possible quel que soit le profil de la personne. « La loi cible tout le monde : que l’on soit un étranger arrivé en France avant 13 ans, que l’on soit un étranger avec des attaches en France, c’est-à-dire que l’on soit parents d’enfants français, conjoint(e)s de Français, ou bien que l’on soit un étranger en France depuis moins de 10 ans, tout le monde peut être expulsé », expliquait Stéphane Maugendre, avocat spécialiste du droit des étrangers, interrogé mi-juillet par InfoMigrants.
« Seulement, il y a des garde fous procéduraux », complétait-il. « On ne fait pas n’importe quoi, n’importe comment. On respecte une procédure préalable pour vérifier que l’expulsion répond à l’état de droit, qu’il n’y a pas de violation de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
« Faire sauter les derniers verrous qu’il reste »
Globalement, Gérald Darmanin dit « assumer une forme de double peine » pour les étrangers délinquants. En clair : il s’agit d’expulser du territoire français les étrangers condamnés à des peines de prison, à l’issue de leur détention.
Là encore, il s’agit d’un effet d’annonce selon Marc Duranton. « Gérald Darmanin affirme assumer une forme de double peine mais il oublie de préciser que cela existe depuis la fin du 19ème siècle dans le code pénal. Cela n’a jamais disparu et, au fil des ans, cela a même été étendu”, soupire le spécialiste de La Cimade.
« Ce que le ministre souhaite c’est faire sauter les derniers verrous qu’il reste alors même qu’ils sont déjà extrêmement lâches” et ne concerne qu’une petite partie des étrangers, continue l’intéressé qui déplore le fait que cette double peine crée « 2 000 à 3 000 indésirables » en France chaque année.
Allongement des OQTF : le risque de « fantômes administratifs »
Enfin, Gérald Darmanin souhaite un allongement de la durée des obligations de quitter le territoire français (OQTF) à deux ans, contre un an actuellement, pour « permettre les recours et appels ». Une manière aussi, pour l’administration, d’étendre les possibilités d’expulsions sur une plus longue période. Actuellement, la durée d’une OQTF est d’un an. En 2020, moins de 10 % des OQTF ont été appliquées.
Sur ce point, le spécialiste de La Cimade, organisation farouchement opposée aux lieux de rétention dont elle dénonce les atteintes aux droits de l’Homme, estime que cela va « créer des fantômes administratifs ». « Cela va augmenter le nombre de personnes qui ne pourront prétendre ni aux droits sociaux ni à un statut administratif, alerte Marc Duranton. Au final, tout cela contribue à renforcer cet état d’esprit qui considère n’importe quelle personne étrangère comme un délinquant en puissance.
Source : http://www.infomigrants.net