Un an après la prise de Kaboul par les Taliban, les réinstallations d’Afghans au Royaume-Uni sont loin d’être satisfaisantes, selon plusieurs ONG. Des centaines d’enseignants, de traducteurs ou d’employés d’entreprises britanniques demeurent bloqués dans le pays, malgré leur autorisation d’être admis sur le sol anglais.
Des milliers de personnes ayant travaillé pour des institutions ou des entreprises du Royaume-Uni demeurent bloqués en Afghanistan, un an après la prise du pouvoir par les Taliban. Dans une synthèse adressée aux parlementaires britanniques et révélée par The Guardian, neuf groupes d’experts sur les droits humains, parmi lesquels des ONG comme Human Rights Watch, dressent un bilan critique des deux programmes britanniques de relocalisation.
D’un côté, le programme ARAP (pour « Afghan relocations and assistance policy ») a déjà permis à 10 100 Afghans de rejoindre le Royaume-Uni. De l’autre, le programme ACRS (pour « Afghan citizens resettlement scheme »), annoncé en janvier 2022, doit permettre encore 20 000 relocalisations. Mais ces deux programmes sont jugés « indûment restrictifs » dans leur application, estiment les experts.
« J’ai déménagé onze fois »
Cent neuf enseignants qui travaillaient en Afghanistan pour le British Council, une institution émanant du gouvernement britannique, sont, par exemple, toujours bloqués dans le pays. Or, tous disposent bien d’une autorisation de réinstallation au Royaume-Uni. Sauf qu’aucun moyen sûr de quitter le pays n’a encore été mis en place pour eux.
« L’échec du British Council – et du gouvernement britannique – à garantir la sécurité de ses enseignants a considérablement terni son excellent travail au sein du pays », commente Joseph Seaton, directeur adjoint du British Council en Afghanistan, cité par The Guardian.
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« Depuis que les Taliban ont perquisitionné ma maison, j’ai déménagé onze fois. Les Taliban ont fouetté ma fille, alors âgée de 8 ans, pour qu’elle leur dise où j’étais », témoigne Mahmoud, l’un de ces 109 enseignants. Celui-ci a également expliqué avoir subi des menaces de mort, avant même la prise de Kaboul par les Taliban, ce dont témoignent au moins deux courriers fournis aux ONG.
« Nous savons que nos anciens collègues vivent dans des circonstances de plus en plus désespérées », ont réagi officiellement les équipes dirigeantes du British Council. « Nous avons fait pression pour que des progrès soient réalisés avec des contacts de haut niveau au sein du gouvernement britannique », affirment-elles.
Des refus d’éligibilité « honteux »
D’autres profils font face, eux, à des refus d’éligibilité aux programmes de relocalisation. La note des experts des droits humains relaie le cas des agents afghans de la société de conseil britannique Adam Smith International. Cette entreprise comptait 250 employés en Afghanistan qui travaillaient à mettre en œuvre, entre autres, des projets d’aide au développement de l’économie. Ces derniers ont demandé leur relocalisation au Royaume-Uni via le programme ARAP.
Or, seuls 24 d’entre eux ont obtenu une autorisation. « Honteux », a jugé l’actuel directeur de l’entreprise, Daniel Pimlott. Le responsable a cité l’exemple d’un de ses employés ayant été jugé inéligible au programme alors qu’il réalisait un travail similaire à celui de sept collègues ayant obtenu une autorisation. Aucune autorisation supplémentaire n’a été accordée pour ces ex-salariés depuis la fin de l’évacuation de Kaboul, fin août 2021.
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« Grâce au nouveau programme ACRS, jusqu’à 20 000 personnes dans le besoin seront accueillies au Royaume-Uni », s’est défendu un porte-parole du Home Office, l’équivalent britannique du ministère de l’Intérieur, face aux constats des ONG. Ce programme donnera la priorité « aux personnes vulnérables, y compris les femmes et les filles et les membres de groupes minoritaires à risques », a-t-il précisé.
Femmes et groupes minoritaires en attente
Ce dernier point répond aux critiques des experts, qui jugent « alarmant » le fait que les femmes et les filles afghanes, ainsi que les groupes minoritaires opprimés, n’aient pas été éligibles à l’ARAP.
Ces personnes placent désormais leurs espoirs dans l’ACRS. Or, elles ont dû attendre l’ouverture du troisième volet de ce programme, le 20 juin 2022, pour avoir une chance de l’intégrer. Le service en ligne accueillant les manifestations d’intérêt sera clôturé le 15 août, date anniversaire de la prise de Kaboul. Cette attente pose problème dans la mesure où « leur situation continue de se détériorer », dénonce la synthèse adressée aux parlementaires.
« Nous nous sommes engagés à considérer les agents à risques éligibles du British Council et de GardaWorld [une entreprise de sécurité, ndlr] et les anciens de Chevening [programme scolaire britannique, ndlr] » pour ce troisième volet de l’ACRS, avait aussi rappelé Kevin Foster, sous-secrétaire d’État parlementaire à l’Immigration, dans une réponse écrite aux parlementaires. Il évoquait alors un seuil de « 1 500 personnes » pour les réinstallations dans le cadre de ce troisième volet.
Pour les relocalisés, un manque de suivi psychologique
De leur côté, les groupes d’experts recommandent d’étendre le programme ARAP et d’accélérer les procédures d’admission sur le territoire britannique des personnes confirmées éligibles. S’agissant du programme ACRS, les ONG conseillent également de l’étendre au-delà du seuil fixé de 20 000 personnes.
En outre, les défenseurs des droits humains s’inquiètent des conditions d’accueil des Afghans amenés sur le territoire britannique. Les 10 000 Afghans déjà relocalisés vivent encore, pour la plupart, dans des hébergements officiels peu adaptés, avec un manque de suivi psychologique. Or, Human Rights Watch alerte sur de graves problèmes de santé mentale chez de nombreux évacués.
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La note aux parlementaires cite les propos d’un homme, ancien employé d’un programme d’aide britannique en Afghanistan, pour qui l’attente depuis bientôt un an dans un hôtel du nord-ouest de l’Angleterre est insupportable. « Un an plus tard, nous n’avons reçu aucune communication du gouvernement sur ce qui se passera par la suite et nous continuons de séjourner dans un hôtel. Je me demande souvent si cela n’aurait pas été mieux pour moi de rester en Afghanistan et de mettre mon sort entre les mains des Taliban ».
Source: https://www.infomigrants.net