Les associations calaisiennes d’aide aux exilés ont fini par être entendues, mais elles ne crient pas victoire, après l’annulation par un tribunal des arrêtés préfectoraux interdisant les distributions alimentaires aux migrants de la part d’acteurs non mandatés par l’État français.
« C’est une victoire amère », tempère Charlotte Kwantes, coordinatrice d’Utopia 56 à Calais. « Car elle été gagnée au prix de sacrifices : deux ans d’entraves sur le terrain à l’égard des associations et surtout des personnes exilées », souligne-t-elle.
Plusieurs arrêtés pris par la préfecture du Pas-de-Calais depuis 2020 invoquant des « troubles à l’ordre public » et des « risques sanitaires » interdisaient aux associations non mandatées par l’État de fournir de la nourriture et de l’eau aux migrants dans le centre de Calais. Ils ont été annulés par une décision du tribunal administratif de Lille, a-t-on appris mardi 18 octobre.
La justice a souligné que « les distributions assurées par l’État », via une seule association mandatée, La Vie Active, « sont quantitativement insuffisantes » pour « assurer trois repas par jour à chaque personne », étant donné le nombre de migrants sur place.
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Dans son jugement du 12 octobre, consulté par l’AFP, le tribunal administratif estime que les interdictions édictées par trois arrêtés préfectoraux de septembre, novembre et décembre 2020, « sont disproportionnées par rapport aux finalités poursuivies », notamment parce qu’elles affectent « les conditions de vie de populations particulièrement vulnérables ».
« Le juge a statué sur l’absurdité de ces arrêtés. C’est une décision en faveur de la solidarité et du principe de fraternité réaffirmé en 2018 par le Conseil constitutionnel français », poursuit Charlotte Kwantes, dont le collectif fait partie des associations plaignantes, aux côtés du Secours catholique, de Médecins du Monde, ou encore de l’Auberge des migrants.
Le « droit à recevoir l’aide humanitaire »
L’avocat des associations, Me Patrice Spinosi a salué mardi « une grande victoire », estimant que le tribunal administratif condamnait « une pratique particulièrement attentatoire aux droits fondamentaux de ces étrangers, qui limitait leur droit à recevoir l’aide humanitaire qui leur était proposée ».
Cette décision de justice peut-elle empêcher l’adoption d’autres arrêtés du même type ? C’est ce que pense Me Patrice Spinosi , pour qui cette affaire va faire « jurisprudence ». « Si la préfecture du Pas-de-Calais prend un nouvel arrêté, on en demandera la suspension par une action en référé sur le fondement de cette décision », a-t-il déclaré à l’AFP.
Pour sa part, contacté par l’AFP, la préfecture a répondu ne « jamais » commenter les décisions de justice.
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Une petite victoire au regard des entraves subies au quotidien
De son côté, l’Auberge des migrants veut garder une position de « vigilance ». « D’autres actions pourraient être menées pour entraver nos activités » a réagi Pierre Roques, coordinateur de l’association. En effet, de nombreux problèmes restent irrésolus, tels que les aménagements urbains opérés par la mairie de Calais visant à limiter l’accès à des lieux de distribution improvisés.
« La ville est grillagée de partout. Depuis plusieurs années la mairie dispose aussi des gros rochers sur les espaces de vie ou de distribution pour nous empêcher d’y acheminer la nourriture avec nos voitures », rapporte Charlotte Kwantes.

« Nous aurions aimé que la municipalité collabore un peu en installant des bennes par exemple. Nous on distribue des sacs poubelles pour le nettoyage mais ça ne suffit pas, la mairie doit de mettre à disposition des services de nettoyage », estime Pierre Roques.
D’après l’association calaisienne, près d’un millier de migrants dorment actuellement dans cette ville côtière du Nord de la France, avec « un turnover important » au vu des très nombreuses traversées de la Manche ces derniers jours. La plupart d’entre eux sont Soudanais, Erythréens, Afghans et Syriens.
Malgré l’approche de l’hiver, les tentatives de passage au Royaume-Uni se sont multipliées en octobre avec plus de 4 500 traversées réussies de la Manche. Cette route maritime reste pourtant particulièrement dangereuse. Les opérations de sauvetage côté français en attestent.
Sources : http://www.infomigrants.net/