« La nuit, ils marchent plutôt que de dormir pour ne pas mourir de froid » : les exilés sans-abri à l’épreuve des températures glaciales
Alors que les températures avoisinent les 0 degrés dans la moitié nord de la France, de nombreux migrants sont contraints de dormir dehors dans le froid, faute de place en hébergement d’urgence. Les associations alertent sur des conditions de vie toujours plus dramatiques et appellent les autorités à ouvrir des lieux vides pour héberger en urgence ces sans-abri.
Cette semaine, une grande partie de la France a été frappée par la neige et des températures polaires. Dans ces conditions, les exilés forcés de rester dans la rue, face à un système d’hébergement d’urgence saturé, tentent de survivre dehors comme ils peuvent. « La période hivernale est toujours la plus dure et celle qui nous préoccupe le plus vis-à-vis des populations exilées et sans-abri », pose d’emblée Francesca Morassut, coordinatrice de l’antenne parisienne d’Utopia 56.
À Paris, l’association d’aide aux migrants recense actuellement « tous les soirs à sa permanence à l’Hôtel de Ville, entre 150 et 200 personnes à la rue : des femmes, des hommes, et entre 50 et 60 enfants », précise Yann Manzi, cofondateur de l’association.
Jeudi soir, « 141 personnes se sont présentées à la permanence, dont 53 enfants et 13 de moins de 3 ans », détaille Francesca. Ces personnes, Utopia 56 tente de les mettre à l’abri pour la nuit, notamment dans un tiers lieu qui leur « permet d’accueillir jusqu’à 130 personnes par soir », précise la coordinatrice. « Mais c’est loin d’être suffisant puisqu’il reste des dizaines de familles qui vont passer la nuit dehors dans le froid, et qui s’installent dans des gares, des hôpitaux ou sous des ponts », ajoute-t-elle.
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Pour d’autres encore, « délaissés par le 115 » et qui n’ont aucune solution d’hébergement, les associations leur fournissent des tentes, des sacs de couchage et des couvertures pour essayer de se réchauffer un peu la nuit. « C’est vraiment du matériel de première urgence et qui est limité dans les stocks, ce n’est pas du tout adapté aux conditions météorologiques actuelles, à la neige, à la pluie, aux intempéries… », déplore Yann Manzi.
« Sur un campement d’hommes plus âgés, j’en ai vu certains en claquettes, qui n’avaient même pas de chaussures fermées. Souvent, ils n’ont pas non plus de manteaux chauds, de gants ou de bonnets, alors on essaie de leur en apporter lors de maraudes », rapporte Francesca Morassut.
Obligés de rester éveillés la nuit
Surtout que le froid ne pardonne pas, de jour comme de nuit. « Ce sont des nuits extrêmement courtes, où les exilés restent constamment éveillés à cause de la fraîcheur mordante. Puis à la première lueur, ils partent en quête d’un lieu où ils pourront se réchauffer », décrit Milou Borsotti, chargé de projet à Médecins du Monde. « La nuit, ils sont obligés de marcher plutôt que de dormir pour essayer de ne pas mourir de froid », lâche Yann Manzi.
S’ajoutent à cela l’humidité et l’impossibilité de garder beaucoup d’affaires, ou du matériel de protection trop volumineux, notamment face au risque de se faire expulser par la police et de devoir tout emporter rapidement. « On est encore dans une politique post-JO d’invisibilisation des exilés : ça veut dire qu’ils ne peuvent pas garder leur lieu de vie la journée sans se faire chasser par la police. Par exemple, les 150 mineurs isolés qui se trouvent à Pont-Marie doivent plier toutes leurs affaires, leurs draps, les couvertures le matin à 7 heures, puis les cacher. Sauf qu’il s’agit d’endroits ouverts, et en ce moment, ils retrouvent leurs biens complètement trempés en fin de journée », explique Milou Borsotti.
La chute des températures représente également un grave risque pour la santé des sans-abri, à commencer par l’hypothermie, rappellent les ONG. « Survivre dehors en hiver, c’est s’exposer à beaucoup de pathologies liées au froid : rhumes, céphalées, engelures, douleurs ostéo-ligamentaires… Puis il y a l’épuisement renforcé par le froid », poursuit le chargé de projet.
Au-delà des dangers pour la santé physique, l’impact psychique de l’hiver qui arrive au galop est également très lourd à supporter pour ces populations vulnérables. « Dans ces conditions météorologiques, on constate encore plus la détresse et le désespoir de ces exilés sans-abri, et leur besoin d’avoir simplement un lieu chaud où se reposer », souligne Francesca Morassut. Pour ce qui est du campement de 150 mineurs établi dans le centre de Paris, « il y a vraiment une impression d’abandon total, de ne pas être considérés. Ils sont très inquiets d’être laissés dehors, dans le froid, pour un temps indéterminé », expose Milou Borsotti.
« Les jeunes sont dans des tentes qui se remplissent d’eau dès qu’il pleut »
Des inquiétudes qui vont bien au-delà de la capitale. À Rennes, en Bretagne, alors que le thermomètre affichait moins de 3°C presque toute la journée jeudi 21 novembre, un campement de 150 à 200 personnes vivait dehors sous plusieurs centimètres de neige, d’après les chiffres de Yann Manzi. Face à cette situation, une pétition a été lancée jeudi pour interpeller les pouvoirs publics et leur demander de fournir un hébergement décent pour l’hiver aux familles migrantes de l’agglomération.
« Les jeunes sont dans des tentes qui se remplissent d’eau dès qu’il pleut, ils n’arrivent pas à dormir, et ne peuvent pas ensuite se concentrer sur leurs cours à l’école. La conservation des aliments, la cuisine, les gestes les plus basiques d’hygiène deviennent quasiment impossibles dans les conditions actuelles », s’indignent les auteurs de la pétition.
Le même jour, la préfecture et la ville de Rennes ont indiqué mettre à disposition un gymnase jusqu’à lundi face à l’épisode de froid, pouvant accueillir une vingtaine de personnes, selon les informations du média local Rennes Infos Autrement.
Dans le Nord, où Yann Manzi comptabilise « 1 000 à 2 000 exilés totalement abandonnés de Calais à Dunkerque », la préfecture a refusé de déclencher le plan Grand froid après une demande des associations, invoquant des températures qui ne rentreraient pas dans les critères d’activation du plan, encore au-dessus des 0°C.
Demande d’action de la part de l’État
Face à cette « situation dramatique », Utopia 56 signale aussi avoir adressé des courriers à la préfecture d’Île-de-France, la Drilh (Direction régionale et interdépartementale de l’Hébergement et du Logement) et la mairie de Paris pour leur demander de mettre à disposition des endroits désaffectés afin d’héberger, même temporairement, ces populations vulnérables et laissées dehors. « Il y a énormément de bureaux vides, de lycées, de gymnases, de bâtiments désaffectés dans la capitale qui pourraient être réquisitionnés », assure Yann Manzi.
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Seule la mairie leur a répondu, disant avoir elle aussi sollicité la Drilh et la préfecture, et avoir déjà ouvert quelques dispositifs sans pouvoir aller au-delà. Contactée, la mairie de Paris indique pour sa part à InfoMigrants que les renforcements et les ouvertures d’autres hébergements d’urgence dépendent des niveaux d’alerte météo et de la préfecture. « Le niveau d’alerte des jours passés n’a pas été assez élevé et n’a pas duré assez longtemps pour enclencher un plan Grand froid« , nous répond-t-elle.
« Il y a tout de même quelques opérations ponctuelles de mise à l’abri réalisées par la préfecture. Par exemple mercredi 20 novembre, un groupe de 150 personnes qui campaient le long de la ligne 2 à Paris a été pris en charge dans des centres franciliens, salue Milou Borsotti. Mais on reste consterné par le manque d’action et de réaction des pouvoirs publics face au nombre de personnes qui demeurent sans-abri et aux familles qui sont expulsées de bâtiments désaffectés, alors qu’on est au début de l’hiver ».
Sources: infomigrants.net