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La Pologne entérine sa loi limitant le droit d’asile

Proposée par le gouvernement polonais avant d’être validée par la Commission européenne, le texte de loi restreignant le droit d’asile en Pologne vient d’être adopté, jeudi 13 mars, par le Sénat. Il s’agissait de la dernière étape du parcours législatif de ce texte extrêmement controversé. Les ONG pointent sa contradiction avec le droit européen et international qui protège les personnes en quête de protection.

C’est un texte de loi qui avait fait des remous pendant des mois, avant de recevoir l’approbation de la Commission européenne fin 2024. Jeudi 13 mars, le Sénat, chambre haute du Parlement polonais, a entériné un texte de loi permettant de limiter le droit d’asile en Pologne. Sur 100 sénateurs, 72 se sont déclarés favorables, rapporte l’AFP.

Ce texte permet de restreindre le droit de déposer une demande de protection internationale sur le sol polonais. Lorsque des autorités le déclencheront, elles devront indiquer une temporalité déterminée (six mois maximum, renouvelable par accord parlementaire) ainsi qu’une zone précise de la frontière où cette restriction s’appliquera.

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Cette mesure est destinée à lutter contre des flux migratoires orchestrés par la Russie et la Biélorussie, soutient le gouvernement polonais. Depuis 2021, la Pologne estime que des afflux de personnes migrantes à sa frontière orientale sont organisés dans le but de déstabiliser la région et l’Union européenne (UE).

Alors qu’une telle disposition contrevient au principe même du droit d’asile, la Pologne a reçu le feu vert de la Commission européenne le 11 décembre 2024 pour l’adopter. La Commission avait ouvert la possibilité de limiter le droit fondamental de demander l’asile dans des circonstances « exceptionnelles », pour les États de l’UE « instrumentalisés » par la Russie par le biais de ce qui a alors été qualifié de « menace hybride ».

Le texte avait été proposé par le gouvernement polonais le 18 décembre, après cette approbation européenne. Désormais validé par les deux chambres du Parlement, il entrera en vigueur une fois approuvé par le président polonais Andrzej Duda.

« Risque de formaliser les refoulements illégaux »

Le 4 mars, le commissaire aux droits de l’Homme de l’UE, Michael O’Flaherty, a adressé une lettre à la présidence du Sénat polonais pour demander de ne pas adopter le texte de loi. Le commissaire estime que cette loi soulève de « sérieux doutes quant à [sa] compatibilité avec les normes du Conseil de l’Europe relatives aux droits humains, notamment avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme ».

Pendant des mois, ce projet de loi avait soulevé l’indignation des ONG. « Ces propositions mettent en danger les droits des personnes sollicitant l’asile. Elles pénalisent des personnes qui peuvent avoir été victimes de violence et de traite d’êtres humains, ou attirées par duperie jusqu’aux frontières de l’UE », avait déploré Amnesty International dans un communiqué.

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Le mois dernier, Human Rights Watch (HRW) a de nouveau demandé au parlement polonais de rejeter ce texte de loi « contradictoire avec les engagements internationaux et européens de la Pologne ». Le droit d’asile est en effet garanti au niveau international par la Convention de Genève, que la Pologne a elle-même signé en 1991.

L’ONG a averti que la législation « risque de formaliser les refoulements illégaux et abusifs en cours à la frontière de la Pologne avec la Biélorussie ». En effet, à cette zone frontalière, les témoignages de « pushbacks », ces refoulements à chaud pourtant interdits par le droit international et européen, sont légion.

« Les gardes-frontières frappent [les migrants], cassent les téléphones et nous aspergent de gaz dans les yeux », a par exemple détaillé Azzedine, un jeune Soudanais rencontré par InfoMigrants, aujourd’hui installé à Varsovie. Le jeune homme a été refoulé vers la Biélorussie pas moins de huit fois, avant de parvenir à entrer en Pologne – comme il en la possibilité en vertu du droit d’asile. Ces refoulements l’ont obligé à survivre près de trois mois dans la forêt séparant les deux pays. « Je ne m’attendais pas à subir ça. Moi, je voulais juste fuir la guerre, et trouver un pays qui me protège ».

En février, la Pologne, la Lettonie et la Lituanie comparaissaient devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour refoulement illégal de demandeurs d’asile à leurs frontières. Le jugement est attendu. La CEDH venait justement de condamner, en janvier, la Grèce pour des griefs similaires.

La Pologne refuse aussi d’appliquer le futur Pacte migratoire

Depuis janvier, la Pologne a pris la présidence du conseil de l’UE, succédant à la Hongrie. Elle exercera cette responsabilité jusqu’en juin.

Dès le mois qui a suivi, le Premier ministre Donald Tusk a annoncé son refus de mettre en œuvre le futur Pacte asile et migration. Pour rappel, ce texte, en théorie juridiquement contraignant pour les 27 États membres, doit entrer en vigueur en 2026. Il vise à renforcer les contrôles aux frontières, mettre en place des procédures de filtrage à l’entrée de l’UE, ou encore à faire évoluer la gestion des demandeurs d’asile, en particulier via des mécanismes de relocalisation.

Or, lors d’une conférence de presse conjointe avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen début février, Donald Tusk a déclaré : « La Pologne n’acceptera aucune charge liée au mécanisme de relocalisation. La Pologne se trouve dans une situation très particulière. Nous subissons une pression énorme de la part de l’immigration illégale », faisant à nouveau référence aux flux migratoires que la Biélorussie et la Russie instrumentalisent, selon lui, à la frontière orientale.

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D’après le Pacte, les pays considérés comme soumis à une « pression migratoire » bénéficieront de mesures de solidarité. Par exemple, un soutien financier ou matériel, ou des transferts de demandeurs d’asile vers un autre État membre. On ne sait pas encore si, en s’opposant à l’application du Pacte, la Pologne pourrait tout de même bénéficier de ce type de compensation. La Commission avait plutôt prévu des recours judiciaires contre les Etats membres qui refuseraient de se plier à la nouvelle législation européenne.

Ceci étant, le Pacte prévoit que ces pays soumis à une « pression migratoire » pourront bénéficier d’une exemption partielle ou totale du système de relocalisation des demandeurs d’asile. Des exceptions qui, d’après le média Euronews, ne seront officialisées qu’après l’entrée en vigueur du Pacte et la publication par la Commission de son rapport annuel évaluant le niveau de la pression migratoire.

Sources: infomigrants

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