Que sait-on vraiment, au-delà des préjugés et des fantasmes, de l’immigration ? Au moment où le président de la République rouvre le débat , il faut se reporter à la précieuse étude publiée par France Stratégie en juillet, forte de chiffres, riche d’analyses et toute en nuances (1).
L’immigration a des impacts politiques, culturels, religieux que n’aborde pas le rapport. Il se concentre sur le marché du travail, les finances publiques et la croissance. Conclusion ? Il faut se garder de tout discours absolu sur l’immigration qui serait intrinsèquement « bonne » ou « mauvaise ». Parmi les nombreux facteurs qui dynamisent ou affectent l’économie et le social d’un pays comme la France, l’immigration compte en réalité peu. Elle n’a qu’un effet marginal sur le chômage et les salaires, elle coûte mais très peu aux finances publiques et au total elle n’influe que faiblement sur la croissance. Il faut espérer qu’un débat présidentiel ainsi nourri de tels constats puisse sortir du fouillis, nous faire entrer dans la pensée complexe, celle que préconise Edgar Morin, et de faire retomber la chaleur (2).PUBBLICITÀ
Concentration dans les métropoles
Il y a en France, 6,7 millions d’immigrés au sens de personnes nées étrangères à l’étranger (chiffre Insee 2018), soit 9,7 % d’une population totale de 67 millions. Plus d’un tiers (37 %) ont acquis la nationalité française. Les immigrés sont nés à 35 % en Afrique et autant en Europe. Ils sont très concentrés dans les métropoles, 38 % vivent dans la région parisienne. Ces statistiques sont en augmentation à peu près continue depuis 1950, avec un léger ralentissement entre 1970 et 2000 et une nouvelle accélération depuis (7,3 % en 1999). Mais ils sont inférieurs à ceux des pays comparables, dont l’Allemagne ou la Grande-Bretagne. Les flux d’arrivées (260.000 par an) sont également un peu inférieurs à ceux des autres pays. Selon l’Insee, un quart du total des entrants repartent (en particulier les étudiants).
« Contrairement au sentiment commun, l’impact de l’immigration sur le chômage et sur les salaires des résidents est faible »
Mais comme la France a accueilli des immigrés de longue date (4 % de sa population en 1920), elle a sur son sol une proportion plus élevée d’immigrés et d’enfants d’immigrés que les autres grands pays : 27 % selon l’Insee, ou 21 % selon les critères du Haut Conseil à l’Intégration. On comprend à ces derniers chiffres pourquoi l’opinion est devenue très sensible à la question de l’immigration.
Mais contrairement au sentiment commun, son impact sur le chômage et sur les salaires des résidents est « faible », selon toutes les études recensées par le rapport de France Stratégie, en France comme dans les autres pays. Dans les pays où les mécanismes salariaux sont rigides et où le Smic est haut, comme en France, l’impact sur les salaires est nul. Mais ce constat doit être nuancé dans certains cas, par exemple sur les revenus des non-qualifiés, comme dans la construction. Les premiers concernés par une concurrence sont alors très souvent les immigrés des années précédentes.
Fluidifier le marché du travail
Dans l’autre sens, l’immigration est-elle utile lorsque les employeurs, dans les secteurs « en tension », font face à une « pénurie » de salariés ? La réponse qui conduirait à des politiques de « quotas » n’est pas claire, par manque d’études. Les économistes recommandent à la France d’abord de fluidifier son marché du travail et de former les non-qualifiés, souvent les immigrés déjà sur place, avant d’en faire venir d’autres.
Les conséquences de l’immigration sur les finances publiques sont faibles. Deux études disponibles (OCDE et CEPII) concluent à un léger coût (environ – 0,3 % point de PIB) pour une raison compréhensible : les immigrés ont des salaires, donc des cotisations, plus basses (d’environ 15 %). L’âge plus faible des immigrés devrait conduire à un rééquilibrage dans le futur (ils paieront les retraites de tous) mais ce dividende démographique sera plus faible en France qu’ailleurs du fait du chômage plus élevé de cette population.
« L’interdiction des statistiques ethniques en France (…) se retourne contre les populations immigrées et devient paralysante pour la puissance publique »
Les conséquences sur la croissance par tête sont positifs selon les économistes, à cause de l’augmentation de la population active qui stimule la consommation et l’investissement. L’examen empirique confirme un effet positif, mais il est très dépendant du niveau de qualification des entrants et ne joue qu’à long terme.
Le rapport demande à la puissance publique de commander des suivis réguliers des trajectoires des populations d’immigrés. J’ajouterais que l’interdiction des statistiques ethniques en France « pour ne pas discriminer » se retourne contre les populations immigrées et devient paralysante pour la puissance publique. Elle laisse courir les erreurs, les fantasmes et les aveuglements. Sur le terrain économique et social, l’immigration ne mérite pas ces fureurs.
Sources : lesechos.fr