Seulement 24h après l’installation d’un campement de migrants à Paris, 80 exilés ont été emmenés jeudi matin vers des places d’hébergement et les tentes ont été enlevées du bassin de la Villette. Entre 300 et 350 migrants sont encore à la rue dans le nord-est parisien selon France terre d’asile qui appelle à prolonger la trêve hivernale jusqu’à la fin de l’année pour des milliers de migrants mis à l’abri pendant le confinement.
« Je crois que c’est la première fois que l’on est autant choqués par une évacuation ». Florent Boyer, coordinateur d’Utopia 56 à Paris, est abasourdi : moins de 24 heures après avoir participé à l’installation d’un campement d’une cinquantaine de tentes près du bassin de la Villette dans le nord-est de Paris, les autorités ont déjà procédé à son démantèlement, jeudi 28 mai au matin. Il s’agissait en majorité de femmes seules et de familles avec enfants, restées à la rue, malgré plusieurs opérations de mise à l’abri de la préfecture durant le confinement.
Florent Boyer assure qu’Utopia signale, en vain, la situation de ces migrants à la mairie depuis deux mois. « On leur envoie des rapports quotidiennement, on s’échange des SMS, on leur dit qu’on n’a presque plus d’hébergements citoyens à cause de la crise sanitaire et eux nous rabâchent qu’ils n’ont pas de solution. Et puis soudain, ce matin, alors qu’il y a un peu d’attention médiatique, ils sont tout contents d’annoncer qu’il reste des places d’hébergement. C’est profondément honteux », s’insurge-t-il.
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Présente lors du démantèlement jeudi matin, la préfecture de la région Île-de-France a en effet expliqué que des places étaient disponibles, affirmant « qu’aucune remise à la rue n’était effectuée jusqu’à la fin de la trêve hivernale » décalée au 10 juillet en raison de la crise sanitaire. Soixante-six personnes en famille et une vingtaine d’enfants ont été recensés lors du démantèlement. Tous sont « montés dans le calme, drapés dans des couvertures, à bord des bus qui les ont emmenées vers des hôtels et des centres d’accueil pour migrants à Paris », a observé l’AFP.
Si Utopia salue tout de même « la mise à l’abri » de ces migrants, l’association dénonce « l’opacité sur la durée de l’hébergement », arguant que la plupart des personnes n’étaient prises en charge que quelques jours avant d’être remises à la rue. Opacité également des lieux vers lesquels les migrants sont amenés ainsi que de l’inconditionnalité promise par la préfecture. « Les migrants ont peur, ils doivent monter dans des bus sans un mot, ils ne savent pas où ils vont et ils n’ont aucune assurance que leur mise à l’abri est sans risque s’ils sont sans-papiers, déboutés du droit d’asile ou encore dublinés », regrette Florent Boyer.
« Le nombre de gens à la rue, recommence à augmenter »
Après quatre ans de sans-abrisme, Tirhas, une jeune Érythréenne interrogée par l’AFP à sa montée dans le bus de la préfecture, accueille justement ces « quelques nuits » à l’abri avec résignation : « On est très heureux, tout est mieux que la rue. Mais je sais qu’ils me connaissent bien. J’ai déjà été placée plusieurs fois en hôtel avant d’être remise à la rue ». D’après les premiers retours obtenus par Utopia 56, certains évacués ont été effectivement dirigés vers des chambres d’hôtels, tandis que d’autres ont été amenés dans un gymnase du 20e arrondissement où sont alignés des lits de camp.
Selon Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, association qui a encadré l’opération aux côtés de la préfecture, il reste « entre 300 et 350 migrants à la rue dans le nord-est parisien ». Il peut s’agir, dit-il à InfoMigrants, de personnes qui sont passées volontairement sous les radars des maraudes, préférant rester dehors que de risquer d’être repérées par les autorités, mais aussi des personnes qui se trouvaient en hébergement citoyen ou encore des nouveaux arrivants. Quoiqu’il en soit, « le nombre de gens à la rue, recommence à augmenter », s’inquiète-t-il.
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Pierre Henry appelle à une prolongation de la trêve hivernale jusqu’à la fin de l’année afin, notamment, de prendre le temps d’anticiper les situations des milliers de personnes actuellement hébergées. « Il faut être courageux et voir la réalité : quand je pense à ces femmes mises à l’abri ce matin, beaucoup étaient déboutées mais elles ne partiront jamais. Il est urgent de faire preuve de pragmatisme en réfléchissant au statut que l’on peut donner à ces personnes pour les faire entrer dans le droit commun et leur donner les moyens de leur autonomie », plaide-t-il.
Depuis le début du confinement, le 17 mars, « quatre opérations de mise à l’abri (…) ont permis à 1 100 personnes en situation de rue de bénéficier d’un hébergement d’urgence ainsi que d’un accompagnement social et sanitaire », affirme la préfecture dans un communiqué, soulignant que 131 000 personnes étaient hébergées chaque soir en Île-de-France par l’État et que 8 600 places supplémentaires ont été ouvertes depuis le début de la crise sanitaire en France.
Sources : https://www.infomigrants.net/