Portés par le mouvement « Black Lives Matter », les enfants d’immigrés en Italie entendent remettre leur combat pour obtenir la citoyenneté italienne sur le devant de la scène. Qu’ils soient nés ou qu’ils aient vécu toute leur vie en Italie, ces jeunes doivent actuellement passer par un véritable parcours du combattant pour obtenir la nationalité du pays qu’ils connaissent depuis toujours. Explications.
« Nous parlons la même langue, nous respirons le même air, fréquentons les mêmes écoles, regardons les mêmes émissions de télévision et avons les mêmes souvenirs d’enfance, les mêmes habitudes. Pourtant, nous n’avons pas le droit d’être Italiens. » Albanaise d’origine, Fioralba Duma vit en Italie depuis ses 11 ans. Âgée aujourd’hui de 30 ans, elle se bat pour la cause des « Italiens non-citoyens », des enfants d’immigrés qui sont nés ou ont passé le plus clair de leur vie dans la péninsule sans jamais obtenir la nationalité*.
Car en Italie, c’est le droit du sang, par opposition au droit du sol, qui prévaut. En d’autres termes, être né et avoir grandi en Italie ne fait pas de vous un Italien. Pour accéder à la citoyenneté, les enfants et petits-enfants de migrants doivent attendre leurs 18 ans, en faire expressément la demande et s’armer de patience – jusqu’à plusieurs années – pour venir à bout d’une procédure administrative lourde et éprouvante.
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Si le demandeur est né en Italie de parents étrangers, le dossier de demande de citoyenneté doit être déposé à ses 18 ans, et au plus tard avant ses 19 ans, à condition d’avoir résidé légalement en Italie sans interruptions. Un simple voyage de quelques mois à l’adolescence peut, par exemple, tout remettre en cause.
La situation se complique davantage si le demandeur n’est pas né en Italie, et ce même s’il y a grandi ou passé la majeure partie de sa vie comme Fioralba Duma. « Nous sommes une génération d’invisibles représentés par aucune loi. N’étant pas née ici, il faut que je passe par une procédure semblable à la naturalisation qui prend des années et dont l’issue est incertaine. C’est injuste », souffle-t-elle.
Plus d’un million de mineurs étrangers
La loi qui encadre les questions de nationalité en Italie remonte à 1992. « Elle est totalement obsolète », regrette Filippo Miraglia, responsable des questions de migration et d’asile pour l’association ARCI. La naturalisation s’obtient après 10 ans de résidence légale et continue sur le territoire italien. Il faut également attester d’un revenu minimum d’au moins 8 500 euros par an sur les trois dernières années.
« Et même tout cela ne vous garantit pas une réponse positive. Car la décision est prise à la discrétion de l’administration, à l’issue d’une évaluation individuelle », poursuit Filippo Miraglia. « Avant vous pouviez demander une justification en cas de réponse négative, mais cela a changé sous Matteo Salvini [l’ex-ministre de l’Intérieur d’extrême droite]. Vous devez désormais attendre quatre ans votre réponse sans qu’aucun motif de refus ne vous soit précisé. »
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En 2019, l’Italie comptait 5,3 millions d’étrangers résidant sur son territoire, dont environ 1,3 million de mineurs. La majorité de ces derniers (75%) sont nés dans la péninsule. Ils sont le plus souvent originaires d’Albanie, du Maroc, de Chine, d’Inde et du Pakistan. « Nous sommes plus d’un million, comment le gouvernement peut-il encore nous ignorer ? », s’interroge Fioralba Duma qui prendra part, cet automne, à une manifestation à Rome pour attirer l’attention sur le sort de ces « deuxième génération » souvent surnommés les « G2 ». « Nous demandons une réforme de la loi de 1992 et plus généralement davantage d’ouverture envers les étrangers ».
L’événement sera organisé notamment par Black Lives Matter Italie, dans le sillage des affaires de racisme policier qui ont marqué l’actualité américaine ces derniers mois.
Les Italiens divisés sur la question
« Je n’ai pas trop d’espoir que la loi sur la nationalité change prochainement », tempère Filippo Miraglia. « Les Italiens sont actuellement trop divisés sur cette question pour que le gouvernement ou l’opposition prennent le risque de la remettre à l’agenda politique. » Selon l’associatif, jusqu’en 2017, environ 70 à 80% de la population était favorable à un assouplissement de l’acquisition de la nationalité, surtout pour les mineurs. « Puis la droite et l’extrême droite se sont emparés du sujet et ont mené une campagne extrêmement raciste lorsqu’il y avait des discussions en cours au parlement sur le sujet », rappelle-t-il.
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La réforme, qui avait été initiée sous l’impulsion du réseau « G2 » par le Parti démocrate de centre-gauche, sera finalement rejetée par l’assemblée. « La gauche n’a pas eu le courage de faire une vraie campagne ‘pour’. Ils ont eu peur de perdre des électeurs. Je pense que c’est d’ailleurs une des raisons qui a permis à la droite de gagner en 2018. »
D’après le sondage le plus récent sur le sujet (Ipsos en 2019), seulement 53% des Italiens sont désormais plutôt favorables à un changement de la loi. Une nouvelle réforme est en discussion au parlement depuis l’année dernière. Mais Covid oblige, la question « n’est pas prioritaire », souligne le président de la commission des Affaires constitutionnelles, Giuseppe Brescia. « Il faudra du temps et il faudra aussi éviter le risque d’instrumentalisation, à droite comme à gauche. »
Sources : https://www.infomigrants.net/