Le secrétaire d’État chargé de l’Enfance et des familles, Adrien Taquet, a annoncé mercredi 27 janvier une future « interdiction du placement des enfants dans les hôtels ». Aujourd’hui, 95% des jeunes pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) et placés à l’hôtel sont des mineurs non-accompagnés étrangers. Fatima, aujourd’hui majeure, se souvient de ses séjours à l’hôtel. Elle raconte.
Fatima* a aujourd’hui 19 ans. Arrivée mineure en France fin 2018, cette jeune fille originaire d’un pays d’Afrique de l’ouest (qu’elle ne souhaite pas dévoiler) a été prise en charge par l’ASE (Aide sociale à l’enfance) et a passé de nombreux mois dans différents hôtels de la région parisienne. Aujourd’hui installée dans un foyer de jeunes travailleurs, elle garde un souvenir traumatisant de ces mois de solitude dans des chambres minuscules et parfois insalubres.
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« Je suis arrivée en France en décembre 2018. Je suis d’abord allée à la Croix rouge [pour faire évaluer ma minorité], ils m’ont envoyée quelques jours dans un hôtel Ibis. Quand j’ai été prise en charge par l’ASE. Ils m’ont transférée dans un hôtel à Paris, vers le métro Strasbourg Saint-Denis. C’était minuscule et pas propre. Il y avait des cafards et des punaises de lit dans ma chambre et je me suis fait piquer. J’y suis restée de janvier à mars 2019.
Ensuite, je suis allée dans un hôtel à Vaujours [en Seine-Saint-Denis]. Quand je suis arrivée, la chambre était très très sale. Je suis allée demander au gérant si je pouvais avoir un balai pour nettoyer la chambre. Il m’a donné un balai tout cassé. Quand je lui ai fait remarquer que je ne pouvais pas l’utiliser, il m’a dit : ‘Va te faire foutre, je ne sais pas pour qui tu te prends’. Il m’a poussée et il m’a arraché le balai des mains.
Je ne suis restée qu’une semaine dans cet hôtel après je suis partie de moi-même parce que ce n’était plus possible. Je suis allée chez une amie.
Pour les deux autres repas de la journée, je devais me débrouiller
J’ai appelée la Camna [la Cellule d’accompagnement des mineurs non-accompagnés prend en charge les jeunes placés à l’ASE en Seine-Saint-Denis NDLR] pour leur dire ce qu’il s’était passé avec le gérant. Ils m’ont dit que ce n’était pas leur problème, que c’était pas grave.
Je me suis tournée vers Hôtel service plus [qui se charge de trouver des chambres d’hôtels pour les jeunes pris en charge par la Camna NDLR]. Eux, ils ont été sympas, ils se sont excusés et ils m’ont dit que ce n’était pas la première fois qu’il y avait des soucis entre des jeunes et ce gérant.
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Ils m’ont trouvé une chambre à l’hôtel de la Paix, à Montreuil [en Seine-Saint-Denis]. Là-bas, c’était un peu plus propre parce qu’il y avait une femme de ménage mais le gérant était très froid. J’y suis restée trois mois. Je prenais le petit-déjeuner à l’hôtel mais pour les deux autres repas de la journée, je devais me débrouiller. Pendant tout ce temps, je ne travaillais pas et la Camna ne me donnait pas d’allocation**. Donc pour manger, j’allais chez la personne qui est devenue ensuite ma « tiers » digne de confiance. Je suis restée chez elle presque un an mais en avril dernier elle a dû repartir dans son pays d’origine car elle avait une opportunité professionnelle.
Je n’avais jamais vécu comme ça
Je me suis alors retrouvée à l’hôtel Le Parisien à Pantin [Seine-Saint-Denis]. C’était le pire endroit où je suis allée. Je n’avais jamais vécu comme ça. Je n’avais pas de quoi manger. Il n’y avait qu’une seule douche et un seul toilette dans l’hôtel et aucun des deux ne fermait à clé. Les clients du restaurant d’à côté venaient aussi dans ces toilettes.
J’étais la seule jeune fille dans l’hôtel. J’ai eu plusieurs fois peur de me faire agresser. J’évitais de me laver là-bas. Il n’y avait pas de caméra donc si je me m’étais fait agresser, il n’y aurait pas eu de preuve.
Je suis restée dix mois là-bas. Pour manger, j’allais à la Croix-rouge, aux Restos du cœur et parfois chez des amis.
Je me suis sentie très très seule dans ces hôtels. Je sentais qu’on me traitait comme un sous-homme. Pour ne pas parler dans le vide, j’échangeais avec des associations. Heureusement, les gens de ces associations m’appelaient tout le temps. C’est grâce à eux que j’ai pu tenir.
Vivre à l’hôtel, c’est terrifiant. Tu peux te faire agresser, beaucoup de choses peuvent se passer. Tu te sens délaissée parce qu’il n’y a pas de contrôle. »
**Les jeunes pris en charge par l’ASE sont censés disposer de tickets-repas ou d’une allocation qui leur est remise en liquide pour leur permettre de s’acheter à manger quand les repas ne peuvent pas être pris à l’hôtel. Les jeunes scolarisés peuvent déjeuner à la cantine de leur établissement. Les mineurs ne sont pas non plus autorisés à travailler en France, sauf exceptions (contrats d’apprentissage, stages rémunérés…). Il faut donc normalement avoir 18 ans pour pouvoir conclure un contrat de travail.
Sources : InfoMigrants : informations fiables et vérifiées pour les migrants – InfoMigrants