Quatre mois après la suspension de la grève de la faim, une cinquantaine de sans-papiers occupent toujours l’église du Béguinage, dans le centre de Bruxelles. Malgré les discussions opérées l’été dernier avec les autorités, la plupart sont toujours dans l’attente de leur régularisation. Et n’ont plus beaucoup d’espoir d’obtenir, un jour, des papiers.
À côté des festivités de Noël qui battent leur plein tout près de là, dans le quartier Sainte-Catherine, la place du Béguinage paraît bien calme. Seul un grand sapin décoré de quelques boules rouges égaye le lieu. Derrière lui, des messages retranscrits sur de grands panneaux ornent la façade de l’église du même nom. « Régularisation des sans-papiers ». Quatre mois après la suspension de la grève de la faim, une cinquantaine d’entre eux occupent toujours le bâtiment.
La plupart sont encore dans l’attente du traitement de leurs dossiers de régularisation. Avec une certaine résignation. Car malgré la « main tendue » du gouvernement et l’espoir suscité par les discussions avec le cabinet du secrétaire d’État belge à l’Asile et à la Migration, Sammy Mahdi, de nombreux grévistes ont vu leur demande rejetée. À l’image de Nezha, installée en Belgique depuis 12 ans. En septembre dernier, cette Marocaine de 52 ans a essuyé un énième refus, malgré « un dossier particulièrement bon », d’après son avocate, Marie Tancré. Lundi 22 novembre, cinq anciens grévistes ont quant à eux introduit une action en référé devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, pour « non-respect de la parole donnée ».
« Ce n’est pas facile tous les jours »
En attendant, les derniers occupants de l’église du Béguinage s’organisent pour affronter l’hiver, déjà bien installé. Ce jour-là, à Bruxelles, la température n’excède pas trois degrés. Et il ne fait guère plus à l’intérieur de l’édifice, non chauffé. Pour se protéger du froid, des panneaux et des cartons entourent désormais les lits des grévistes, formant un alignement de petites cabanes de l’entrée jusqu’à l’autel. Là, quelques tapis ont été étendus sur le sol. C’est l’espace réservé à la prière.
À quelques mètres, des bruits de semelles qui traînent au sol et des toussotements brisent le silence de la nef. Tarik se réveille doucement. Il range un peu la « chambre » qu’il partage avec un camarade. Originaire de Nador, au Maroc, ce frêle jeune homme de 32 ans est en Belgique depuis 2017. Une écharpe blanche nouée autour du cou, il admet que pour lui, « c’est difficile en ce moment de travailler, à cause de [son] mauvais état de santé ». Alors en attendant une réponse de l’Office des étrangers, il reste dans l’église. Même si, avec le froid, « ce n’est pas facile tous les jours ».
Pour se nourrir, Tarik peut tout même compter sur les riverains, qui apportent régulièrement des vivres aux sans-papiers de l’église, affirme-t-il avec un sourire qui fait plisser ses yeux cernés. Avant de se diriger vers les petits sanitaires, tout au fond de l’édifice, la démarche hésitante. Ses savates sont devenues trop serrés pour ses pieds emmitouflés dans d’épaisses chaussettes.
« Les patrons en profitent »
Le sol qui mène vers les douches est rutilant. Kamel vient de passer la serpillère. « Il faut que ça reste propre », annonce-t-il fièrement. C’est lui aussi, qui a affiché à l’entrée de l’église la pancarte « interdiction de fumer », devant laquelle il bavarde avec d’autres grévistes. Tous vivent ensemble depuis le début du mouvement, il y a dix mois. Depuis, Kamel a quitté son appartement du centre de Bruxelles, « trop cher ». Malgré l’argent gagné grâce à ses multiples travaux dans le bâtiment. « En ce moment, je construis un faux plafond », affirme photos à l’appui cet Algérien de 46 ans, né dans la casbah d’Alger. « Mais mon ancien employeur me doit encore 1 000 euros. C’est ça le problème quand on est sans-papiers, les patrons en profitent ».
Arrivé en Europe il y a 27 ans par bateau, via l’Italie, Kamel s’est d’abord installé à Amsterdam pendant treize ans. Sur les conseils d’un ami, il quitte les Pays-Bas pour Bruxelles. « En quatorze ans de vie ici, je n’ai jamais eu affaire à la police. Je n’ai même jamais mis les pieds dans un commissariat, je vous assure. Je parle français et flamand. Et même un peu roumain maintenant, grâce à mes collègues, ajoute-t-il en riant. Pourtant je suis toujours là, à attendre ». Début juillet, la grève de la faim l’avait beaucoup affaibli. Aujourd’hui, c’est le froid qu’il redoute le plus. « La nuit ici, avec le froid, c’est un épreuve ». Mais en attendant une réponse des autorités pour sa régularisation, il ne compte pas s’en aller.
Tout comme Dera, qui discute avec un ancien gréviste près d’un confessionnal où s’entassent des couvertures. Bonnet vissé sur la tête et mains enfoncées dans les poches de son blouson, il dit dormir dans l’église « de temps en temps », en pointant du doigt un matelas blanc posé à même le sol. Mais ici ou dans son studio bruxellois, ce jeune Algérien de 30 ans confie « passer de très mauvaises nuits ». Dans l’attente du traitement de son dossier, il dort mal, et se réveille « au moins trois fois par nuit, à cause du stress ».
En Belgique depuis 2015, Dera « n’est jamais resté sans rien faire », tient-il à préciser. Toute l’année, il enchaîne les missions dans le bâtiment et la pâtisserie, ce qu’il préfère. « Je sais faire tous les gâteaux vendus en boulangerie, et même les croissants ». Occupant de l’église depuis le début de la contestation, le jeune homme avoue être « épuisé par tour ça », et se sentir « dans une impasse ». Car rentrer en Algérie, il ne l’a jamais envisagé. « Ici, je me suis fait beaucoup d’amis, des Belges, des Marocains, des Turcs, raconte-t-il. En Algérie, je n’ai plus ma copine, et j’ai même perdu mon père. Je n’ai plus personne à voir là-bas ».
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