« Ils lui ont coupé une partie du doigt » : à la frontière polono-biélorusse, les migrants toujours victimes de violences
À la frontière ukrainienne, les garde-frontières polonais accueillent chaque jour des milliers de déplacés fuyant la guerre. Quelques centaines de kilomètres plus au nord, les exilés irakiens, syriens et afghans qui cherchent à entrer dans le pays n’ont pas le droit aux mêmes égards. Dans la zone qui sépare la Pologne de la Biélorussie, de nombreuses familles sont toujours victimes de la violence des autorités des deux pays.
« Personne ne se soucie de nous. Le monde nous a oubliés avec la guerre ». Thaer a quitté l’Irak pour la Biélorussie, il y a plusieurs mois. Aujourd’hui, cet Irakien de 39 ans est toujours coincé à la frontière polonaise. « La Biélorussie ne veut pas que nous revenions, et la Pologne ne nous permet pas de traverser, souffle-t-il à InfoMigrants. Nous n’avons pas aspiré à cette vie, nous n’avons pas cherché à nous mettre dans cette situation ». Actuellement, entre 650 et 800 personnes seraient encore coincés, comme Thaer, à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, d’après plusieurs associations.
Selon Silvia Cavazzini, de l’ONG Gandhi Charity, ils seraient même chaque jour un peu plus nombreux à gagner la forêt depuis la fermeture, au début du mois, du centre d’accueil temporaire biélorusse de Bruzgi. Une information confirmée cette semaine par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR).
« Les garde-frontières ont imposé un ultimatum aux occupants. Deux options leur ont été proposées : rejoindre l’aéroport de Minsk et rentrer dans leur pays d’origine, ou partir dans l’autre sens, à pied, direction la Pologne », explique Silvia Cavazzini, de retour en Italie après plusieurs jours passés à la frontière. La plupart choisissent de poursuivre leur chemin d’exil vers la Pologne, malgré les risques. En ce moment, le consortium d’associations polonaises Grupa Granica reçoit, chaque jour, une douzaine d’appels à l’aide, depuis la forêt.

Depuis l’été 2021, régulièrement, de petits groupes de migrants tentent d’entrer dans l’Union européenne (UE) par cette frontière. L’UE accuse Minsk d’avoir orchestré cet afflux, en réponse aux sanctions européennes prises à l’encontre du régime d’Alexandre Loukachenko, après sa réélection frauduleuse en août 2020.
Pendant que la bataille diplomatique fait rage chez les autorités, des hommes, des femmes et des enfants tentent de survivre dans cette zone densément boisée, dans le froid. Coincés entres les garde-frontières biélorusses et polonais, au milieu des barrières de fils barbelés, érigées à la hâte par les autorités, difficile pour ces familles de poursuivre leur chemin vers une vie meilleure. D’autant plus lorsque, d’un côté comme de l’autre, les refoulements et les coups sont monnaie courante.
« Frappé plusieurs fois aux reins et à la tête »
Côté biélorusse, Silvia Cavazzini déplore une « escalade notable de la violence contre les réfugiés qui, refoulés par les Polonais, souhaitent retourner dans le pays ». Nawal Soufi, une autre militante des droits humains en déplacement à la frontière expose, sur sa page Facebook, le récit d’un jeune homme qui a passé plusieurs jours « emprisonné entre les deux barrières de barbelés ». « Pour sauver sa vie et retourner à Minsk, il a commencé à couper les fils de fer. Les gardes-frontières biélorusses l’ont arrêté, emmené, et avec le même cutter, ils l’ont amputé d’une partie du doigt, écrit-elle, photos à l’appui. Puis ils l’ont frappé plusieurs fois aux reins et à la tête ».
Alertée, la militante a pu faire venir une ambulance à l’endroit où avait été torturé le garçon. L’incident rappelle l’extrême brutalité avec laquelle sont traités les exilés à la recherche de protection. En novembre, InfoMigrants avait rencontré Youssef, un Syrien de 37 ans sauvagement battu au visage par des soldats biélorusses alors qu’il franchissait la frontière. Près de deux semaines après son agression, il avait toujours la peau teintée par des hématomes jaunes et violets.
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À la porte de l’UE, côté polonais, en lieu et place de protection ces migrants irakiens, syriens, et afghans se heurtent, là aussi, à un mur. Au sens propre, comme au figuré. Car en plus des longues clôtures barbelées et de l’important déploiement militaire dans la zone – en état d’urgence depuis début septembre – un mur en béton viendra bientôt compléter cet arsenal anti-migrants. Sa construction, débutée en janvier, s’étendra sur plus de 186 kilomètres.
« Ce sont vos enfants, pas les nôtres »
En attendant, les pushbacks vers l’autre côté de la frontière sont toujours d’actualité. « Dans la matinée du dimanche 13 mars, trois familles kurdes irakiennes avec leurs enfants ont été refoulées vers la Biélorussie, a indiqué Zosia Krasnowolska, membre de l’association Hope and Humanity, au journal italien Avvenire. D’après elle, l’une des familles est restée bloquée 14 jours à la frontière. « Ils ont failli mourir de faim et de froid. Alors que le couple souhaitait simplement faire soigner son fils, atteint d’autisme, en Europe ».
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Silvia Cavazzini a pu, elle aussi, entrer en contact avec deux familles d’exilés, en grande difficulté dans les bois. « Ils étaient perdus, ils ne savaient pas où aller. Ils se sont retrouvés dans un marais, leurs vêtements, y compris ceux des enfants, étaient trempés », raconte-t-elle. Ces personnes ont « supplié les gardes-frontières polonais de leur accorder une protection. Au moins pour leurs bébés. On leur a juste répondu : ‘Ce sont vos enfants, pas les nôtres' ». Depuis, le groupe est toujours dans les bois.
Quelques centaines de kilomètres plus au sud, le changement de ton est total. À la frontière avec l’Ukraine, les garde-frontières polonais s’empressent d’accueillir les ressortissants ukrainiens fuyant la guerre. Le thé chaud, les vêtements et les couvertures se sont substitués aux coups et aux réprimandes.
À ce jour, la Pologne est le pays de l’Union européenne qui accueille le plus de déplacés d’Ukraine : plus de 2 100 000 personnes sont arrivées dans le pays. En novembre, le pays avait, au contraire, gardé portes closes aux exilés du Moyen-Orient. Au plus fort de la crise avec la Biélorussie, ils représentaient entre 3 000 et 4 000 personnes.
Source: https://www.infomigrants.net