Le chantier de construction des Jeux olympiques de Paris devait être exemplaire. Pourtant, l’inspection du travail a révélé, fin mars, que des travailleurs sans-papiers avaient été embauchés sur le site par un sous-traitant de GCC, grand groupe de BTP, donneur d’ordres sur le chantier du village olympique. Ces travailleurs ont pu être régularisés rapidement après l’inspection. Ils réclament aujourd’hui leur embauche par GCC.
La spécialité de Moussa, c’est les planchers. C’est généralement ce dont il s’occupe sur les chantiers où il travaille. C’est donc à la construction d’un plancher qu’il était affairé, le 25 mars dernier, lorsque des membres de l’inspection du travail sont arrivés sur le site du village olympique, à Saint-Denis, pour un contrôle.
En temps normal, Moussa aurait quitté les lieux au plus vite. Mais pas ce jour-là. « Je suis allé voir la personne de l’inspection et je lui ai dit que j’étais sans-papiers », raconte-t-il, quelques semaines plus tard, dans les locaux de la Confédération générale du travail (CGT), à Bobigny. Après des années de travail « au noir », dont 10 mois sur le chantier des Jeux olympiques (JO) de 2024, sans respect de ses droits et de sa sécurité, Moussa a voulu mettre fin à cette situation.
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Comme lui, 11 autres travailleurs sans-papiers, tous originaires du Mali, ont contacté, début 2022, la CGT pour défendre leurs droits. Sur ces 12 hommes, le syndicat a établi que huit ont travaillé sur le chantier des JO. Les autres étaient employés sur des chantiers différents.
Veste de sport rouge sur le dos et grand sourire, Moussa raconte que c’est le combat d’autres travailleurs sans-papiers qui l’a poussé à réagir. « J’ai un ami qui travaillait pour l’entreprise Sépur et qui a fait grève il y a quelques mois. C’est lui qui m’a parlé de la CGT et qui m’a dit qu’ils pourraient nous aider ».
Pas de matériel de protection, pas d’heures supplémentaires
Le jeune homme raconte que, sur le chantier, un travailleur peut se voir retirer son travail du jour au lendemain pour un simple désaccord. Il dit aussi que les travailleurs sans-papiers ne disposent pas de matériel de protection et que les heures supplémentaires ne leur sont pas payées. « Nous avons menacé de faire grève et le patron nous a fait des contrats en CDI », se souvient Alassane. En réalité, il ne s’agissait que de déclaration préalable à l’embauche faites auprès de l’Urssaf, sans réelle valeur.
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Deux ans plus tard, en 2022, le patron d’Alassane est désormais responsable d’au moins trois micro-entreprises avec, à leur tête, « des gérants de paille ». Les travailleurs sans-papiers repérés par l’inspection du travail, le 25 mars, étaient employés par ces trois entreprises, affirme Jean-Albert Guidou, secrétaire général de l’union locale de la CGT à Bobigny.
Régularisations
Le responsable syndical s’est penché sur ce montage d’entreprises « d’une grande complexité ». « Une personne est soupçonnée d’être le responsable de ces trois entreprises. Ce sont de toutes petites boîtes qui ont une durée de vie très courte – trois ans en moyenne. Puis, on les ferme pour ne pas avoir à payer la TVA et l’impôt sur les sociétés », explique-t-il, reconnaissant encore de nombreuses parts d’ombre dans le dossier. « Il n’y a que les services de l’État qui ont les moyens de fouiller », estime-t-il. Une enquête de l’inspection du travail a été ouverte.
De leur côté, les travailleurs, épaulés par la CGT, se sont adressés aux prud’hommes pour obtenir les salaires et heures supplémentaires qui leur sont dus. Tous ont déjà obtenu une victoire : leur régularisation, en quelques semaines à la suite de l’inspection du 25 mars.
Pour Jean-Albert Guidou, la notoriété des JO et l’image irréprochable qui doit y être attachée ont joué en faveur des travailleurs sans-papiers. Une charte sociale avait été signée en juin 2018 entre les pouvoirs publics et les syndicaux patronaux et de travailleurs pour que les chantiers soient exemplaires. Dans ce document la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) s’engageait notamment à « faire respecter les normes internationales du travail et ‘le travail décent’ au sens de l’OIT auprès des sous-traitants et des fournisseurs ».
Carte professionnelles du BTP
Face aux manquements constatés, la CGT pointe la responsabilité du groupe GCC. Le syndicat estime que, dans un secteur comme le bâtiment, où les cas de travail irrégulier sont monnaie courante, l’entreprise donneuse d’ordre aurait dû redoubler de vigilance.
GCC se défend en affirmant ne pas avoir embauché les personnes concernées. « Nous avons signé un contrat avec une société sous-traitante qui les emploie. À l’inverse des services de l’inspection du travail, il ne nous est pas possible de procéder aux vérifications de la conformité des titres de séjour et des papiers d’identité », assure à InfoMigrants François Teste du Bailler, directeur général délégué de GCC.
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L’entreprise affirme ne pouvoir contrôler que les cartes professionnelles du BTP des travailleurs de ses chantiers. « Dans ce cas précis, ce sont les services de l’inspection du travail qui nous ont signalé les falsifications des cartes de séjour. Cartes de séjour qui ont permis d’obtenir des cartes professionnelles du BTP », précise François Teste du Bailler. GCC affirme également avoir mis fin à sa collaboration avec la société sous-traitante concernée et indique qu’une procédure de dépôt de plainte est en cours.
Les travailleurs concernés espèrent maintenant être embauchés directement par GCC. L’entreprise assure ne pas avoir « encore reçu de demandes officielles de leur part ». « Si cela se confirme, on envisagera bien entendu leur candidature avec intérêt, car l’entreprise a des besoins de recrutement », indique François Teste du Bailler.
* Les personnes citées uniquement avec leurs prénoms n’ont pas souhaité que leur nom de famille soit publié.