Que s’est-il passé dans la nuit du 6 au 7 mai 2018 lors de la chute mortelle de la Nigériane Blessing Matthew dans la Durance (Hautes-Alpes) ? L’association Tous migrants, appuyée par l’ONG Border forensics, a relevé des incohérences dans les témoignages des gendarmes qui poursuivaient la jeune femme ce soir-là. L’association et la sœur de la victime réclament la réouverture de l’enquête.
En 2018, la mort de la jeune Blessing Matthew, 21 ans à l’époque, a été un choc immense pour le village de La Vachette, dans les Hautes-Alpes. La région a été le théâtre d’un drame, dans la nuit du 6 au 7 mai. Pendant longtemps, aucun témoin n’a été interrogé par les gendarmes au sujet de la mort de cette migrante qui tentait de rejoindre la France depuis l’Italie. Son corps avait été retrouvé le 9 mai dans le barrage de Prelles, sur la Durance.
Dans leurs déclarations, les gendarmes avaient indiqué ne pas s’être lancés à la poursuite de Blessing et de deux de ses compagnons de route. Et la justice avait, par deux fois, déclaré un non-lieu. La cour d’appel de Grenoble n’avait pas retenu en février 2021 les accusations d’homicide involontaire, de mise en danger de la vie d’autrui et de non-assistance à personne en danger visant les gendarmes.
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Depuis, un témoin essentiel a été retrouvé et il incrimine les gendarmes présents cette nuit-là.
« Je l’ai entendu crier : ‘Help me, help me' »
Hervé S., 35 ans, est Camerounais. En mai 2018, il a fait, avec Blessing, la route depuis l’Italie. Il assure que les gendarmes les ont repérés dans le village de La Vachette et que l’un d’eux a poursuivi Blessing dans un jardin, près de la Durance. La jeune femme serait alors tombée dans l’eau en voulant lui échapper.
« Je l’ai entendue crier : ‘Help me, help me!’ [‘Aidez-moi, aidez-moi !’] Au fur et à mesure qu’elle criait, sa voix s’éloignait… Ensuite, le gendarme est allé dire à ses collègues qu’elle était tombée dans la rivière mais qu’elle avait peut-être traversé. Ils n’ont pas appelé les secours. Des gendarmes sont allés [essayer de] chercher Blessing de l’autre côté », a confié Hervé S. à Médiapart qui l’a rencontré et interrogé en avril dernier.
Hervé et un autre migrant, Roland, qui accompagnaient la victime ont été interpelés peu après et renvoyés en Italie. Aujourd’hui sans-papiers en France, Hervé S. n’a pas voulu raconter sa version des faits aux autorités françaises.
Il explique qu’en 2018, les gendarmes avaient voulu l’interroger mais il avait alors refusé, rapporte Médiapart. « J’ai dit non. Et j’ai cassé la puce de mon téléphone. Pourquoi ils veulent que je témoigne alors qu’ils m’ont couru après ? » , a déclaré le Camerounais.
En conséquence, l’association Tous migrants et Christiana Obie Darko, sœur de Blessing Matthew, ont déposé, vendredi 27 mai, une « demande de réouverture d’information judiciaire ». Selon leur avocat Me Vincent Brengarth, les déclarations du témoins sont « de nature à rebattre totalement les cartes ».
Incohérences dans les témoignages des gendarmes
Le témoignage d’Hervé vient appuyer les incohérences repérées par Tous migrants dans les allégations des gendarmes et par l’ONG Border forensics, qui enquête sur les cas de violences aux frontières.
« Seule la réouverture de l’instruction pourra déterminer de manière définitive les évènements ayant mené à la mort de Blessing et d’établir les responsabilités », souligne Tous migrants.
Le procureur de la République de Gap, Florent Crouhy, a indiqué, vendredi à l’AFP que la demande de réouverture de l’enquête « sera étudiée lorsque les éléments originaux seront transmis au parquet ».
« Tout ce que je veux c’est que justice soit rendue pour ma sœur, pour qu’elle puisse reposer en paix », a déclaré lundi Christiana Obie Darko.
Source : https://www.infomigrants.net