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Le drone de Frontex « facilite les interceptions et les retours en Libye » d’après des ONG

Human Rights Watch et Border Forensics ont analysé les données de vol du drone de Frontex déployé depuis mai 2021 en Méditerranée centrale. Leur conclusion est sans appel : cette surveillance aérienne « facilite » les interceptions et refoulements pratiqués par les garde-côtes libyens. Frontex, de son côté, réaffirme que sa priorité est de « sauver des vies » et rappelle que le centre de coordination et de sauvetage maritime libyen est reconnu officiellement.

La surveillance aérienne de Frontex en Méditerranée centrale « facilite les interceptions et les retours en Libye », affirment les ONG Human Rights Watch (HRW) et Border Forensics dans une analyse conjointe publiée le 1er août.

Depuis mai 2021, l’agence de garde-frontières et de garde-côtes de l’Union européenne, Frontex, déploie un drone depuis Malte. Celui-ci surveille la Méditerranée centrale. L’UE a « retiré ses propres navires et installé un réseau de moyens aériens gérés par des sociétés privées », rappellent les deux organisations.

Ces dernières ont analysé les schémas de vol du drone. Il s’avère que celui-ci joue un « rôle crucial » dans la détection des embarcations à proximité des côtes libyennes. Or, en informant les garde-côtes libyens des données recueillies par le drone, la surveillance aérienne de Frontex facilite – sans s’y opposer – les refoulements, estiment les ONG.

« La priorité de Frontex est de sauver des vies », se défend Frontex auprès d’InfoMigrants. Depuis toujours, l’objectif affiché par l’agence dans sa surveillance aérienne est celui de l’aide au sauvetage.

La Libye informée au même titre que les pays voisins

« À chaque fois qu’un avion ou un drone de Frontex repère un bateau en détresse, il alerte immédiatement les centres de coordination de sauvetage maritime concernés dans la région : l’Italie et Malte, ainsi que la Libye et la Tunisie », nous expose Frontex quant à sa procédure en Méditerranée centrale.

Lorsque « des vies sont en jeu », les données partagées pour géolocaliser l’embarcation recouvrent « tous les éléments disponibles ». Il peut s’agir des appels de détresse, mais aussi des « e-mails » ou des « messages » des personnes à bord, précise Frontex.

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Les ONG dénoncent justement la communication de ces informations aux autorités libyennes, à l’heure où les preuves de traitements inhumains et dégradants des exilés dans le pays s’accumulent (détention arbitraire, torture, viols…).

De son côté, Frontex argue auprès d’InfoMigrants que la Libye dispose d’un centre de coordination et de sauvetage maritime, tout aussi reconnu officiellement par le droit international que ceux de l’Italie, Malte ou la Tunisie. Dès décembre 2018, l’UE avait même débloqué une enveloppe de 45 millions d’euros pour soutenir l’action des garde-côtes libyens en aidant à la mise en place de ce centre de coordination et de sauvetage.

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Rien qu’en 2021, 32 425 personnes ont été interceptées par les garde-côtes libyens en mer et ramenées à terre, selon le dernier rapport annuel de la branche libyenne de l’OIM (Organisation internationale pour les migrations). Régulièrement, ces personnes sont ensuite enfermées arbitrairement. Une nouvelle milice, appelée Autorité de soutien à la stabilité et créée depuis un an et demi, est impliquée à la fois dans les interceptions en mer et dans les exactions commises dans les prisons libyennes.

L’exemple du 30 juillet 2021

HRW et Border Forensics présentent un exemple concret de surveillance aérienne problématique de la part de Frontex. Le 30 juillet 2021, il y a un pile un an, au moins trois embarcations et plus de 228 migrants ont été refoulés en Libye. Parmi ces embarcations, l’une d’elles se trouvait dans les eaux internationales, au cœur de la zone maltaise de recherche et de sauvetage.

Or, les données de vol du drone de Frontex indique « qu’il surveillait la trajectoire du bateau, mais Frontex n’a jamais informé le navire de sauvetage non gouvernemental Sea Watch à proximité », accusent les ONG.

L’ONG allemande Sea-Watch dénonce les mêmes faits. Ce 30 juillet, son navire Sea Watch 3 et son avion Seabird ont assisté à la scène des garde-côtes libyens repoussant le canot vers le sol libyen. Un acte contraire au droit international. « Avant l’interception du bateau, un drone Frontex s’est rendu à plusieurs reprises sur les lieux et à proximité du cas de détresse », soutient Sea-Watch. « Par conséquent, on peut présumer que Frontex est impliquée dans cette opération contraire au droit international. » Sea-Watch a annoncé, en avril 2022, avoir déposé un recours en justice auprès du Tribunal de première instance de l’UE, avec l’appui de l’ONG FragDenStaat.

« Manque de transparence »

Les services de Frontex « ont rejeté nos demandes d’informations ainsi que celles de Sea-Watch » à propos de cette journée du 30 juillet 2021, regrettent HRW et Border Forensics. Les deux ONG pointe le « manque de transparence » de l’agence.

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Déjà, en avril 2022, le groupement de journaliste Lighthouse Reports avait passé au crible 56 interventions des gardes-côtes libyens en recoupant les données des traqueurs de vol, de navigation, mais aussi les témoignages et les enregistrements radio. Dans 20 cas, « nous avons pu prouver qu’un avion Frontex volait dans le voisinage immédiat et pouvons affirmer avec une forte probabilité qu’ils étaient conscients du bateau en détresse », écrivent les journalistes. Dans une dizaine de cas, Frontex était même « le premier acteur » dans la détection des embarcations. Lighthouse Report concluait alors à un « rôle direct » de Frontex dans les interceptions en mer.

Frontex est déjà au cœur de la tourmente depuis plusieurs mois. Les médias Der Spiegel et Le Monde viennent de publier les détails de l’enquête de l’Office européen de la lutte contre la fraude sur les « puschbacks » couverts par Frontex en mer Égée. « Au lieu d’empêcher les ‘pushbacks’, l’ancien patron Fabrice Leggeri et ses collaborateurs les ont dissimulés. Ils ont menti au Parlement européen et ont masqué le fait que l’agence a soutenu certains refoulements avec de l’argent des contribuables européens », a résumé le magazine allemand. 

Source : http://www.infomigrants.net

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