Emigrer, c’est quitter son pays pour un pays étranger dans le but d’y vivre. L’Émigration est clandestine lorsqu’elle est illégale ; autrement dit, irrégulière. Des jeunes sénégalais en quête de pitance, migrent fréquemment de façon clandestine vers d’autres territoires où la vie serait, selon leur entendement, plus prometteuse. Pour des raisons diverses, en l’occurrence politiques et sociales, beaucoup de jeunes sénégalais quittent la patrie dans des conditions tristes pour aller s’installer dans d’autres contrées, dans l’espoir d’y trouver le salut.
Ce phénomène est devenu l’un des plus mortels chez les jeunes de la population sénégalaise, depuis maintenant plusieurs années. Des jeunes, hommes, femmes, enfants, des familles entières ont péri dans les eaux, à bord de pirogues, durant des traversées improbables. Des mères pleurent encore leurs fils partis en sacrifice. Partis pour soulager la famille. Partis pour vivre la vie de leur rêve, à l’image de ce qu’ils voient à la télé et sur les réseaux sociaux. Ils partent avec le consentement familial ou sont partis dans la plus grande discrétion. Ils étaient partis pour l’espoir et leur disparition brutale suscite toujours autant de larmes, de chagrins et de commentaires. Pourquoi ils en sont arrivés là ?
Plusieurs facteurs entrent dans l’apparition d’un phénomène social. Ainsi, les phénomènes sociaux aux causes les plus évidentes peuvent avoir les racines les plus complexes. C’est parce que, les motivations des comportements humains peuvent avoir des sources sombres et lointaines, parfois même inconscientes. Dans les sociétés, lorsque qu’un phénomène apparaît de façon positive, nombre de gens peuvent tenter de façon discrète ou flagrante de faire de la récupération. Inversement, lorsque le phénomène revêt une coloration négative, ils vont, le plus souvent, procéder à une projection, c’est-à-dire, tenter de trouver une réalité autre qu’elle sur laquelle repousser judicieusement la configuration.
En ce qui concerne le phénomène coutumier de l’émigration clandestine des jeunes sénégalais qui partent, de façon suicidaire, vers l’Occident, le premier responsable déclaré reste l’Etat. Pourquoi l’Etat ? Parce qu’il est déjà cette institution qui existe pour prendre et assumer des responsabilités. Pour avoir moins de difficultés à gérer, un Etat conséquent doit anticiper sur les situations. En clair, le rôle de l’Etat est d’alléger, de tout son pouvoir légitime, les souffrances de son peuple, en améliorant leurs conditions de vie. Concrètement, tout ce que l’Etat pose comme acte doit avoir comme finalité, la création d’un cadre collectif de vie meilleure, c’est-à-dire, plus juste et plus sûr.
Dans cette perspective, il est raisonnable que l’Etat du Sénégal soit la personne morale la plus visée dans ce phénomène. Cependant, les manquements notoires et caractérisés dans le rôle de l’Etat ne sont pas les seules voire les vraies raisons de l’amplification et de la résilience du phénomène de l’émigration. Le désespoir grandissant des promesses politiques liées à la formation et à l’emploi n’est pas le seul facteur de l’émigration massive, clandestine et suicidaire des jeunes sénégalais. L’Etat n’est pas la cause unique de tout le désarroi qui conduit les jeunes sénégalais à braver la mer.
Après la responsabilité de l’Etat, il va falloir s’arrêter sur le facteur que constitue la société sénégalaise en tant que cadre de relation humaine dans laquelle évoluent les jeunes migrants en question. L’Etat ne peut être dédouané. Seulement, bien identifier les causes d’un mal est essentiel pour espérer le soigner. L’émigration clandestine n’est pas la seule faute d’un Etat faible qui ne crée pas de vraies opportunités pour sa population majoritairement jeune. En effet, le mal de l’Etat est un handicap qui devient encore plus insupportable lorsque s’y ajoute l’hypocrisie sociale sénégalaise.
La société sénégalaise est un modèle qui vexe et qui met mal à l’aise ses membres démunis à travers toute sorte de mécanisme et d’évènement. La majorité des jeunes ont affaire à une société qui ne respecte pas ses membres aux revenues faibles, qui ne les écoute pas, qui ne leur accorde aucune considération, quel que soit leur âge, et qui le leur montre à chaque fois que l’occasion se présente. C’est aussi une société qui n’applique ses censures qu’avec ceux qui n’ont pas les arguments financiers de leur bonne foi. Les jeunes débrouillards restés au pays ont l’habitude de se voir refuser, par leur société, tout ce qu’elle accepte pour les « toubab »[1] et les « modou-modou »[2]. La société sénégalaise est une société qui crée des complexes, des frustrations et des rancœurs, qui trahit sans réserve les amitiés et les amours des jeunes pour des intérêts familiaux à résonance pécuniaire.
A y voir de près, il y a beaucoup plus pesant dans la conscience d’un jeune que d’avoir des qualifications sans trouver un travail conforme ou sans trouver de travail du tout. Il y a beaucoup plus insupportable dans la conscience d’un jeune que de devoir chercher du travail tous les matins dans la douleur. Il y a beaucoup plus indigne dans la conscience d’un jeune que de gagner un salaire misérable.
La vie devient un enfer avant la mort, lorsqu’il s’agit de supporter les jugements et le regard accusateur de la société, des parents et des proches ; lorsque les autres voient en toi une charge supplémentaire, une personne qui surcharge sans jamais alléger de sa présence. Arrive alors le moment de bouger, au sens propre, après s’être longtemps décarcassé pour gagner sa vie dignement. Il faut bouger ne serait – ce que pour faire de la place, pour réussir, on verra après. Ce moment arrive pile lorsque tu commences à symboliser le poids familial et l’échec politique communautaire.
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Beaucoup de jeunes auraient pu supporter et résister, ils auraient pu démarrer un petit business pour persévérer. Des revenus même faibles devraient, dans la compréhension et le soutien, permettre à son acquéreur de tenir, le temps de trouver mieux. Mais, pour tenir il faut être moralement serein.
Hélas, en terme de pression, la société sénégalaise n’offre pas de cadeau. Même pour quelqu’un qui choisit de se débrouiller, la société lui fait souvent constater qu’il ne peut pas être aussi serein dans sa logique. Beaucoup ont dû entendre que le travail qu’ils font n’est pas pour eux, qu’ils valent mieux, que leurs mamans et papas, après tous les sacrifices, méritent plus. Ici, il demeure une chance énorme et un grand privilège d’avoir des amis, des parents et un entourage qui ne te met pas trop la pression.
En un mot, notre société est un amplificateur de la détresse. Les jeunes chômeurs et démunis trouveront dans le regard et les mots de la société des tortures morales acerbes. Inutiles, encombrants et dépossédés de leur dignité dans une société où la valeur d’un jeune ne se mesure pas à son éducation, son potentiel, ses rapports humains et son réalisme, mais clairement à la quantité de « teranga »[3] dont il est capable pour ses parents et sa famille. Le culte de l’apparence et de la concurrence demande à l’enfant de prouver combien il est devenu une personne capable de faire autant que ses parents. Il doit réhabiliter les fiertés « dogg buumu gathié yi »[4] et rendre à ses parents proches ou lointains, la pièce de leurs monnaies. Il doit le faire, souvent au prix de sa liberté, de sa carrière ou de sa vie. À défaut, il devient lui-même « gathié »[5], figure d’une stérilité sociale dans sa lignée. Alors, certains choisissent, car au Sénégal, on n’a pas seulement dit : « jur mu dè taxuta yaradal, jur luni leng té fajul dara moy yaradal »[6].
Seydina Pathé CISSOKHO @ciskovery