Grèce : fin imminente d’un programme de logement pour les plus vulnérables
En Grèce, l’ESTIA, un important programme de logement de demandeurs d’asile financé par l’Union européenne devrait définitivement s’arrêter à la fin de cette année 2022.
C’est le ventre serré que Salim*, un père célibataire originaire d’Afghanistan, a appris que ses trois enfants allaient être transférées de leur appartement vers un camp de réfugiés.
« Quand mes filles entendent le mot ‘camp’, la peur et la terreur envahissent leurs yeux », explique-t-il. Lorsque la famille est arrivée en Grèce, elle a passé huit mois sur l’île de Lesbos, où se trouvait le tristement célèbre camp de réfugiés de Moria.
Salim fait partie des centaines de demandeurs d’asile impactés par la décision de la Grèce de mettre fin à un programme de logement connu sous le nom d’ESTIA II. Les témoignages de Salim et de trois autres demandeurs d’asile concernés ont été publiés récemment par l’ONG Refugee Support Aegean (RSA).
Le ministère grec de l’Immigration avait annoncé plus tôt cette l’année qu’il ne reconduirait pas le programme en 2023, malgré l’engagement de la Commission européenne de poursuivre son financement jusqu’en 2027.
Un nombre d’hébergements « suffisants »
Le programme ESTIA a été lancé en 2015 pour aider les demandeurs d’asile vulnérables, tels que les familles nombreuses, les personnes handicapées et les victimes de torture, en veillant à ce que les bénéficiaires accèdent à un logement adapté et aux services de soins médicaux.
Il y a deux ans, la gestion du programme est passée du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) au mains du gouvernement grec.
En décembre 2021, l’ESTIA disposait d’une capacité de plus de 23 250 places de logement. « Offrir un hébergement dans les villes contribue à rétablir un sentiment de normalité et permet un meilleur accès aux services, notamment à l’éducation et à la santé », assurait à l’époque le ministère grec de la Migration.
À peine deux mois plus tard, début 2022, le gouvernement annonçait qu’au lieu d’étendre le programme, les places seraient réduites au nombre de 10 000. Le 16 décembre dernier, le ministre de la Migration, Notis Mitarachi, a confirmé la fin pure et simple du programme d’ici la fin de l’année, en justifiant cette décision par la diminution du nombre d’arrivées dans le pays.
« Nous fermons le programme ESTIA, parce que les installations d’hébergement sont suffisantes pour les besoins en logement », a-t-il affirmé.
Les autorités grecques ont publié en août des chiffres montrant que le nombre de demandeurs d’asile et de réfugiés dans le pays (sans compter les Ukrainiens) avait été divisé par deux par rapport à 2022.
La grande majorité des près de 18 580 demandeurs d’asile et réfugiés se trouvent actuellement dans des camps sur le continent, et non sur les îles de la mer Égée.

Un jour de préavis
De nombreux demandeurs d’asile vulnérables ont déjà été transférés des logements de l’ESTIA vers ces camps, situés pour la plupart dans des zones reculées. Beaucoup n’ont été informés qu’au dernier moment de leur éviction.
Selon Fenix, une organisation d’assistance juridique de Lesbos, certains demandeurs d’asile n’ont été prévenus que 24 heures à l’avance qu’ils allaient devoir quitter leur appartement.
En octobre déjà, une famille nombreuse d’Afghanistan avait été relogée dans une autre ville, obligeant quatre des enfants à abandonner l’école. Dans le camp où ils vivent depuis, ils n’ont plus accès aux soins de santé ou à une éducation adaptée, selon Fenix.
L’organisation souligne également que les autorités ont enfreint le droit communautaire européen en n’informant pas la famille de ses nouvelles conditions de vie.
Fénix cite également l’exemple d’une femme transgenre. « Victime de violences sexuelles et séropositive, elle aurait « besoin d’un accès continu à des soins assurés par un hôpital spécialisé d’Athènes ». D’après l’organisation, la femme « a été informée verbalement qu’elle serait bientôt expulsée et devrait retourner dans un camp, très probablement dans une région éloignée, sans avoir accès aux soins médicaux nécessaires et spécialisés au vu de son grave état de santé. »
Les groupes de défense des droits des réfugiés comme Fenix affirment ainsi que la fin du programme ESTIA conduira à un isolement accru des demandeurs d’asile en Grèce et va à l’encontre des objectifs de l’Union européenne en matière d’intégration et d’inclusion des migrants. Fenix rappelle également que le financement du programme est pourtant assuré au niveau européen.

« J’ai peur de me promener seul »
Adellard*, originaire de la RDC et victime de violences homophobes dans son pays mais aussi en Grèce, a passé un an et demi à Lesbos. Il avait été relogé à Athènes dans un appartement du programme ESTIA après avoir été agressé dans le camp de Moria.
Il a depuis été transféré vers un camp, loin de son partenaire. Même s’il est autorisé à sortir du site, il se sent emprisonné. « Mon appartement me manque. Je me sens seul et terrifié ici. À Athènes, j’ai mon partenaire, mes médecins et mon avocat, j’avais un endroit où j’étais en sécurité. Pour aller à Athènes d’ici, je dois marcher 30 minutes jusqu’à la station de bus la plus proche, puis prendre un bus pendant plus d’une heure. Je dois payer 6,10 euros pour chaque trajet. Les bus ne vont pas souvent à Athènes. »
Adellard craint de devoir revivre des expériences traumatisantes. « J’ai eu de très mauvaises expériences avec les gens dans les camps par le passé. J’ai peur de me promener seul et j’ai peur des foules. Cet endroit me rappelle des choses horribles », a déclaré le jeune homme de 21 ans dans son témoignage à l’organisation RSA.
Des camps loin de tout
La fin imminente du programme ESTIA fait suite à l’arrêt, au début de l’année, d’un autre programme d’hébergement nommé FILOXENIA, géré par l’agence des Nations Unies pour les migrations (OIM) et qui offrait un abri d’urgence aux migrants vulnérables dans des hôtels.
Le gouvernement grec a également fermé d’autres installations d’hébergement situées dans des zones urbaines, comme le camp d’Eleonas à Athènes, où la qualité de vie était réputée bien meilleure que dans la plupart des camps de réfugiés grecs.
Pour les membres du groupe des Verts/ALE au Parlement européen, les relogements se font vers des « camps éloignés et limitant les libertés ». Selon eux, la seule alternative, sera d’aller vivre dans la rue.
*Les noms ont été modifiés
Sources : www.infomigrants.net