Un peu plus d’un an après le blocage de près de 4 000 personnes à la frontière de la Pologne avec la Biélorussie, des centaines de migrants tentent toujours, chaque semaine, d’entrer dans l’Union européenne à cet endroit. Si leur nombre est moindre, la dangerosité de cette route est, elle, toujours plus grande.
« Il voulait avoir une vie tranquille en Europe, mais il est mort. » Siddig Musa Hamid Eisa, un Soudanais de 21 ans, a perdu la vie le 3 octobre dernier alors qu’il tentait de gagner la Pologne par la frontière avec la Biélorussie. D’après le journaliste et activiste Piotr Czaban, qui a recueilli le témoignage de sa sœur, le jeune homme s’est noyé dans la rivière Svislach. Après avoir perdu l’équilibre dans le cours d’eau, son lourd sac à dos l’a entraîné sous la surface. Son corps n’a été retrouvé que 20 jours plus tard, sur la rive.
Il a été enterré le 5 décembre, en compagnie de quelques habitants, dans le cimetière musulman du village de Bohoniki, au nord-est de la Pologne.
Son décès vient allonger la liste des exilés décédés à cette frontière. Depuis l’été 2021, au moins 28 migrants sont morts dans la zone – côté polonais comme biélorusse – d’après un rapport de l’ONG polonaise Grupa Granica. « Dont 13 en 2022 », précise l’une de ses autrices, Aleksandra Loboda, jointe au téléphone par InfoMigrants. « Mais il pourrait y en avoir plus, redoute-t-elle, car avoir des informations fiables à cette frontière est difficile. Ce dont nous sommes sûrs en revanche, c’est que près de 200 personnes sont à ce jour portées disparues. »
Un an et demi après l’activation de cette route migratoire, la situation dans la zone n’est plus tout à fait la même. Alors qu’au plus fort de la « crise », en novembre 2021, près de 4 000 personnes s’étaient pressées à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie, ces derniers mois, le nombre d’exilés à cet endroit est en baisse. Mais des centaines de personnes, chaque semaine, tentent toujours de gagner l’UE par ce passage.
Mercredi 4 janvier, 66 migrants ont tenté d’entrer en Pologne, d’après les garde-frontières polonais. La veille, 60 autres exilés – dont 30 Syriens et 10 Iraniens – ont fait de même, près des villages de Czeremcha, Mielnik, et Szudziałowo, au nord du pays. Et entre le 30 décembre et le 2 janvier, 181 migrants au total, originaires d’Angola, du Liberia, du Congo Kinshasa, du Ghana, d’Irak, de Syrie et d’Égypte, ont été interceptés près de là, toujours selon les garde-frontières.
« Hypothermie », « convulsions » et « pied des tranchées »
Bien que les chiffres des traversées soient plus faibles que l’année dernière, « la crise humanitaire », elle, « est toujours là », déplore Aleksandra Loboda. Son ONG a fourni une aide humanitaire à plus de 6 000 exilés – syriens, yéménites, et congolais pour la plupart – pour toute l’année 2022. « Beaucoup étaient en familles avec enfants en bas âge », affirme-t-elle. De nombreuses personnes en situation de handicap ont également sollicité l’aide de l’association.
Cette région isolée située en pleine nature, peuplée de forêts et de marais, est très dangereuse pour les migrants. Par petits groupes, certains y errent plusieurs semaines, sans abri et sans nourriture. « En ce moment, les températures sont meilleures, mais en décembre, certaines nuits, le thermomètre descendait jusqu’à -10, -15 degrés. Nous sommes beaucoup intervenus sur des cas d’hypothermie », explique la militante.
D’après Intersos, une association italienne qui apporte également des soins médicaux à la frontière, les personnes secourues souffrent aussi « de convulsions causées par la déshydratation », « de problèmes gastro-intestinaux » et du « pied des tranchées », une infection douloureuse causée par une exposition prolongée à l’humidité et au froid. Elle peut déboucher, si elle n’est pas soignée, sur une nécrose du pied ou causer le décès de la personne par septicémie.