Quinze mois après le pire naufrage survenu dans la Manche le 24 novembre 2021, des familles de victimes, accompagnées d’associations, ont déposé lundi une demande d’indemnisation auprès des autorités françaises. Les requérants leur reprochent leur « inaction fautive ». Ce jour-là, aucun bateau de secours n’avait été envoyé malgré des appels à l’aide répétés des migrants qui se noyaient.
Plus d’un an après la mort d’au moins 27 personnes qui tentaient d’atteindre l’Angleterre par bateau, trois familles de naufragés demandent réparation à la France. Ces familles, originaires d’Irak, d’Iran et d’Ethiopie, ainsi que l’association Utopia 56 et la Ligue des droits de l’homme (LDH) ont déposé lundi 13 février une demande d’indemnisation auprès des autorités françaises pour « préjudices moraux ».
Les acteurs visés par cette demande sont Matignon, le ministère de l’Intérieur, le secrétariat d’Etat chargé de la mer, la préfecture maritime de la Manche et de la mer du Nord (Premar), et le Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross). Les requérants leur reprochent leur « inaction fautive » et les « manquements de l’Etat à ses obligations en matière de moyens humains et matériels affectés au sauvetage des personnes qui traversent la Manche ».
Ce drame – la pire catastrophe migratoire dans la Manche – avait fait des victimes âgées de 7 à 46 ans, essentiellement des Kurdes irakiens. Quatre personnes sont toujours portées disparues et deux migrants ont survécu. Ces deux survivants, un Kurde iranien et un Soudanais, ont raconté aux enquêteurs que leur canot, parti d’une plage à proximité de Dunkerque, avait commencé à se dégonfler et à couler quelques heures après le départ.
« Des opérateurs du Cross ont été contactés au moins à 14 reprises »
Le jour du drame, « des opérateurs du Cross ont été contactés au moins à 14 reprises par l’embarcation sans qu’aucune opération de sauvetage ne soit déclenchée », insiste Utopia 56 dans un communiqué, en se basant sur les premiers éléments d’une enquête ouverte à Paris et confiée à la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco).
« Le CROSS a communiqué des informations parcellaires à son homologue britannique », dénonce encore l’association. « Dans les échanges avec les garde-côtes britanniques, la situation de détresse dans laquelle se trouvait l’embarcation n’a jamais été mentionnée, est-il indiqué dans ce communiqué. Les Britanniques ont demandé ‘avec insistance et à plusieurs reprises’ aux Français d’envoyer le Flamant (patrouilleur français), bien plus proche du bateau qui ‘coule’ que le Valiant. ‘L’opératrice du Cross refusera de le faire intervenir, arguant qu’il est occupé sur un autre cas’, ce qui sera contredit par l’étude radio qui démontrera qu’il n’était ‘pas occupé sur une mission vitale’. »
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En novembre dernier, le journal Le Monde avait publié les premiers éléments de l’enquête judiciaire sur ce naufrage, révélant de graves dysfonctionnements côté français. L’aparté d’une opératrice du Cross qui recevait l’un des appels de détresse avait suscité l’indignation : « Ah bah, t’entends pas, tu seras pas sauvé. ‘J’ai les pieds dans l’eau’, bah je t’ai pas demandé de partir », avait-elle dit.
« L’objectif, ce n’est pas de gagner de l’argent »
La demande d’indemnisation est une « action complémentaire » de la procédure pénale, a expliqué auprès de l’AFP Me Emmanuel Daoud, avocat des familles et des association. Elle pourrait « aider à la manifestation de la vérité dans le cadre de l’enquête. […] L’objectif, ce n’est pas de gagner de l’argent. Les frères, les neveux, les femmes perdus par ces familles ne reviendront pas. Il s’agit plutôt de tirer les conséquences des carences fautives des autorités et de mettre l’Etat français et les différents ministères devant leurs responsabilités. »
S’ils n’obtiennent pas l’indemnisation, dont le montant n’a pas été communiqué, les requérants prévoient de saisir la justice administrative.
« Si à un quelconque moment il y a eu un manquement, une erreur, les sanctions seront prises », avait assuré en novembre 2022 le secrétaire d’Etat Hervé Berville. L’enquête menée en France n’a pour l’heure débouché sur une sanction.
Un an après, le seul coup de filet a eu lieu côté britannique, où un homme soupçonné d’être un passeur dans cette affaire a été arrêté en novembre 2022 par l’agence britannique de lutte contre la criminalité.
Sources : https://www.infomigrants.net/