Régularisations au cas par cas dans les métiers en tension, fin de l’aide médicale d’État (AME), délivrance d’une OQTF dès le premier rejet de la demande d’asile… Le projet de loi immigration adopté par le Sénat français a pris une coloration très droitière : la nouvelle mouture est bien plus répressif que le texte initial. Elle doit maintenant passer à l’Assemblée nationale, où elle pourra être à nouveau modifiée.
Le Sénat français a adopté mardi 14 novembre un projet de loi renforçant le contrôle de l’immigration, dans une version durcie par rapport à celle du gouvernement. Le texte devrait maintenant passer, le 11 décembre, entre les mains des parlementaires de l’Assemblée nationale – qui pourront eux aussi aussi le modifier à leur guise.
Pour l’heure, les sénateurs ont durement renforcé le volet répressif du projet – dans un contexte marqué par l’afflux migratoire sur l’île italienne de Lampedusa et la mort le 13 octobre d’un professeur poignardé à Arras, dans le nord de la France, par un ancien élève étranger fiché pour radicalisation islamiste.
Voici les principales mesures du projet de loi modifié. Concrètement, les sénateurs ont :
– resserré les critères du regroupement familial, en renforçant notamment les conditions de séjour et de ressources d’un demandeur.
– rétabli le délit de séjour irrégulier (supprimé en 2012 par François Hollande). Cette infraction sanctionne la seule présence sur le territoire français d’une personne en situation irrégulière.
– conditionné les allocations familiales et l’aide au logement (APL) à cinq ans de résidence, contre six mois actuellement.
– supprimé l’aide médicale d’État pour les sans-papiers.
– prévu de délivrer une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) dès le rejet d’une demande d’asile en première instance, sans attendre un éventuel recours.
– mis fin à l’automaticité du droit du sol (pour les enfants nés en France de parents étrangers qui obtenaient la nationalité française à leur 18 ans).
– conditionné l’aide au développement aux pays facilitant les expulsions de leurs ressortissants.
– allongé à dix ans le délai de résidence en France pour une naturalisation contre cinq aujourd’hui.
– porté à trois ans le délai de validité maximal d’une OQTF, contre deux ans aujourd’hui, et porté à dix ans le délai d’une interdiction de retour sur le territoire français (IRTF), contre cinq ans aujourd’hui.
– levé la protection quasi-absolue dont bénéficiaient les étrangers arrivés avant l‘âge de 13 ans en France, les conjoints de Français, les étrangers en France depuis plus de 20 ans. Ils seront expulsables s’ils sont condamnés pour des faits punis de cinq ans de prison, en cas d’atteintes aux principes de la République (ou liés à des activités à caractère terroriste).
– conditionné la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle à la maîtrise d’un « niveau minimal de français », validé lors d’un examen.
– mis fin à l’idée d’un droit automatique à la régularisation pour les sans-papiers travaillant dans les secteurs dits en tension. Les étrangers pourront obtenir un titre de séjour d’un an, au cas par cas, « à titre exceptionnel » et non de plein droit comme le prévoyait le projet initial.
En ce qui concerne ce dernier article – qui était la mesure phrase du gouvernement – le travailleur devra aussi avoir exercé pendant au moins 12 mois sur les deux dernières années dans des « métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement ». Il devra également justifier d’au moins trois ans de résidence ininterrompue en France pour se voir délivrer une carte de séjour « travailleur temporaire » ou « salarié » d’un an.
La réforme, qui souhaitait aussi « améliorer l’intégration » penche désormais sur le seul volet répressif dans le but de décourager les entrées sur le territoire. La gauche française qui a critiqué le texte devrait se battre à l’Assemblée pour le rééquilibrer. Le projet est même jugé « indigne » par le patron du Parti socialiste Olivier Faure.
En plus des 5,1 millions d’étrangers en règle, soit 7,6% de sa population, la France accueille plus d’un demi-million de réfugiés sur son sol et compterait entre 600 000 et 700 000 étrangers en situation irrégulière, selon les estimations des autorités.
Des chiffres qui incitent l’extrême droite (et la droite dure) à vouloir durcir encore plus le texte adopté par le Sénat. L’incertitude demeure sur les ambitions de l’aile gauche du camp présidentiel face à ce texte.
Aux commandes de la réforme, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, n’a pas semblé désemparé par ce durcissement en règle, dénoncé par la gauche et les associations. « C’est un texte coconstruit », « enrichi par le Sénat », a-t-il souligné sur la chaîne d’informations CNews.
Si aucun compromis n’est trouvé, le gouvernement pourrait activer l’article 49.3 de la Constitution pour adopter son texte sans vote.
Sources : https://www.infomigrants.net/