L’Ocean Viking a été bloqué mercredi pour 20 jours à quai par les autorités de Rome. Le navire humanitaire a secouru deux embarcations en détresse sans avoir reçu le feu vert des autorités libyennes – comme le prévoit la loi italienne. L’ONG dénonce un décret absurde et fait valoir qu’il est impossible de communiquer avec les forces maritimes de Tripoli.
« C’est une ressource vitale en moins en mer Méditerranée ». Claire Juchat, coordinatrice communication sur l’Ocean Viking, semble avoir dépassé le stade de la colère. C’est la lassitude que l’on sent dans sa voix. « On va devoir rester 20 jours à quai, immobilisé… », souffle-t-elle à InfoMigrants. « C’est énorme 20 jours quand on sait que les départs des personnes qui fuient par la mer ne cessent pas, et que des canots coulent sans laisser de traces ».
Depuis mercredi 15 novembre, l’Ocean Viking est immobilisé par les autorités italiennes dans le port d’Ortona, dans la région des Abruzzes, loin de la zone maritime où les migrants risquent de sombrer. Le navire humanitaire affrété par SOS Méditerranée devra rester 20 jours à quai, « en détention », et s’acquitter d’une amende de 3 300 euros. Leur tort : avoir porté secours à deux embarcations en détresse sans en avoir reçu l’autorisation en amont par les autorités compétentes.
Retour sur les faits. Dans la nuit du vendredi 10 au samedi 11 novembre, l’Ocean Viking, présent au large des côtes libyennes, procède à un premier sauvetage de 33 personnes. La coordination avec les autorités italiennes se passe bien. Les migrants sont récupérés sains et saufs. À la suite de l’opération, le centre de coordination des secours maritimes italien (MRCC) ordonne au navire de se rendre à Ortona pour y débarquer les rescapés.
C’est la nouvelle loi italienne qui l’exige, plus précisément le décret Piantedosi. Celui-ci régit les activités des navires de sauvetage en Méditerranée et oblige les ONG à se rendre « sans délai » au port de débarquement assigné par les autorités italiennes juste après un premier sauvetage. L’Ocean Viking s’exécute.
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« Trois heures plus tard », alors qu’il fait route vers son port d’attribution, le navire reçoit une deuxième alerte. Un nouveau canot est en détresse à quelques kilomètres seulement de leur position. L’Ocean Viking demande l’autorisation d’intervenir. Le MRCC italien redirige alors le navire vers le centre conjoint de coordination des opérations de sauvetage libyen (JRCC) pour recevoir des instructions. Autrement dit, le navire humanitaire n’a pas le droit de procéder à une nouvelle opération sans l’accord des autorités libyennes, responsables de la zone selon un accord avec Rome.
« On a envoyé des emails, passé des appels, aucune réponse »
« On a suivi les règles, évidemment. On a envoyé des emails, passé des appels à de multiples reprises au centre de coordination libyen, aucune réponse… », explique Claire Juchat. « Le canot était si près de nous… Quelqu’un a finalement décroché le téléphone, mais il parlait en arabe. Puis un autre a répondu dans un anglais très rudimentaire sans nous donner d’instructions », continue-t-elle avant de préciser : « Chaque centre de coordination a l’obligation légale de parler anglais ».
Sans instructions claires, l’Ocean Viking finit par porter secours à l’embarcation à seulement 16 mille nautique de l’embarcation (environ 30 km). Trente quatre personnes sont sorties de l’eau. « On a attendu d’avoir des directives pendant trois heures. En vain. Au bout d’un moment, il a fallu agir, alors on a agi. Il était 6h du matin ».
Le sauvetage fut compliqué. « Des personnes étaient gravement blessées, elles étaient intoxiquées à l’essence (qu’elles avaient respirée) de manière sévère. Une personne a dû être placée sous assistance respiratoire », explique Claire Juchat.
Dans son communiqué, SOS Méditerranée justifie sa démarche. « Nous avons constamment communiqué de façon transparente et proactive avec toutes les autorités compétentes tout au long de nos missions de recherche et de sauvetage, tout en cherchant activement leur coordination (…) Laisser des naufragés à la dérive en mer est non seulement illégal au regard du droit maritime international mais aussi inhumain ».
Le navire reprend sa route vers le port d’Ortona mais quelques heures après, SOS Méditerranée reçoit un nouvel appel au secours. Un canot de 61 personnes est en difficulté.
Là encore, L’Ocean Viking demande l’autorisation à Rome et à Tripoli de lui porter assistance. Le navire humanitaire affirme cette fois-ci n’avoir reçu aucune réponse ni côté italien, ni côté libyen.
Face à ce silence, le navire procédera au sauvetage de cette troisième embarcation.
Les ONG de sauvetage en mer insistent régulièrement sur la nécessité de procéder rapidement à un sauvetage lorsqu’un canot surchargé est en difficulté. Elles craignent que la lenteur de la coordination entraîne des drames.
« Il est impensable qu’une organisation humanitaire soit sanctionnée pour avoir accompli son devoir de sauvetage »
Après cette dernière opération, le navire de SOS Méditerranée compte 128 migrants à bord. En reprenant sa route vers Ortona, il sait qu’il a enfreint la loi italienne. SOS Méditerranée dénonce aujourd’hui l’absurdité de son immobilisation. « On est punis pour avoir sauvé des gens », regrette Claire Juchat. « Ce sont les États qui ne répondent pas à l’obligation légale de porter secours en mer, et c’est nous qui payons pour ça ».
Même indignation de l’ONG. « Faire face à des détentions et à des amendes, faute d’avoir reçu des instructions claires de la part des autorités chargées de la coordination, représente un dilemme inacceptable pour tout sauveteur. Il est impensable qu’une organisation humanitaire soit sanctionnée pour avoir accompli son devoir de sauvetage », peut-on lire dans le communiqué de SOS Méditerranée.
C’est la deuxième fois depuis le début de l’année que l’Ocean Viking subit une immobilisation à quai. En juillet 2023, les autorités italiennes avaient identifié des problèmes concernant les « radeaux de survie » du bateau humanitaire et demande son immobilisation « pour une durée indéterminée ».
SOS Méditerranée a secouru plus de 39 000 personnes en Méditerranée depuis 2016, principalement en Méditerranée centrale, la route migratoire la plus dangereuse du monde. Depuis janvier 2023, 2 100 migrants y sont morts noyés en tentant de rejoindre l’Europe, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Sources : https://www.infomigrants.net/