Les députés ont adopté mardi 19 décembre dans la soirée la loi très controversée sur l’immigration, à l’issue d’une commission mixte paritaire conclusive. Parmi les mesures entérinées : le durcissement des conditions d’obtention des prestations sociales aux exilés et du droit du sol, ou encore le rétablissement du délit de séjour irrégulier.
« Le sentiment du devoir accompli ». C’est avec ces mots que la Première ministre Élisabeth Borne a conclu les âpres négociations autour du projet de loi Immigration, désormais terminé. Mardi 19 décembre, dans la soirée, l’Assemblée nationale a adopté le texte avec 349 voix pour et 186 voix contre, une semaine après une motion de rejet proclamée par les mêmes députés.
Le président Emmanuel Macron a cependant indiqué mercredi matin vouloir saisir le Conseil constitutionnel, afin d’examiner le texte qui contient « des mesures manifestement et clairement contraires à la Constitution », comme l’a reconnu mardi soir le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, à la tribune du Sénat.
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Considérablement durcie au Parlement par rapport à la version initiale présentée par le gouvernement, la loi, composée d’une centaine d’articles, réforme de nombreuses dispositions polémiques. La gauche déplore « un vote de la honte », tandis que les associations dénoncent une « victoire idéologique de l’extrême droite », ou encore le texte « le plus régressif depuis 40 ans ».
En voici les mesures clés :
1/ Prestations sociales
C’est un point longuement discuté par les députés, désormais axé autour de la distinction entre les étrangers non européens « en situation d’emploi » ou non.
Pour bénéficier de l’Aide personnalisée au logement (APL), une aide financière destinée à réduire le montant du loyer, une condition de résidence est fixée à cinq ans pour les exilés qui ne travaillent pas, et de seulement trois mois pour les autres. Ces nouvelles restrictions ne s’appliquent pas aux étudiants étrangers ou aux réfugiés.
Pour bénéficier d’autres aides sociales (hors APL), les étrangers en situation régulière sans emploi devront justifier d’une résidence en France depuis au moins cinq ans. Pour ceux qui travaillent, la durée est ramenée à 30 mois. Les aides aux personnes handicapées ne seront pas concernées par cette mesure.
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L’Aide médicale d’État (AME), réservé aux sans-papiers, ne sera pas supprimée, comme voté en première instance par le Sénat. La Première ministre Élisabeth Borne l’a confirmé, mercredi matin, sur la radio France Inter. Le texte de loi comprend en revanche une restriction de l’accès au titre de séjour « étranger malade ». Sauf exception, il ne pourra être accordé que s’il n’y a pas de « traitement approprié » dans le pays d’origine. Une prise en charge par l’Assurance maladie sera par ailleurs exclue si le demandeur a des ressources jugées suffisantes.
Des dispositions amenées à être modifiées, après la promesse faite aux Républicains (LR) par la Première ministre d’une réforme du dispositif début 2024.
2/ Régularisations de sans-papiers
La majorité s’est résignée à une version plus restrictive que celle du projet de loi initial, en donnant aux préfets un pouvoir discrétionnaire de régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers dits en tension (bâtiment, restauration, aide à la personne…).
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Cette régularisation des travailleurs prendra la forme d’un titre de séjour d’un an, délivré au cas par cas, à condition d’avoir résidé en France pendant au moins trois ans, exercé une activité salariée durant au moins 12 mois sur les 24 derniers, et présenter un casier judiciaire vierge. Les emplois étudiants ou saisonniers sont exclus.
Un travailleur sans-papiers pourra demander ce titre de séjour sans l’aval de son employeur.
Cette « expérimentation » ne s’appliquera que jusqu’à fin 2026.
3/ Droit du sol
L’Assemblée a consacré la fin de l’automaticité de l’obtention de la nationalité française à la majorité pour les personnes nées en France de parents étrangers : il faudra désormais que l’étranger en fasse la demande entre ses 16 et 18 ans.
Autre restriction obtenue par la droite : en cas de condamnation pour crimes, toute naturalisation d’une personne étrangère née en France deviendrait impossible.
4/ Cour nationale du droit d’asile (CNDA)
L’organisation de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est aussi réformée, dans le but de traiter au plus vite les demandes d’asile qui ont été déboutés devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). La loi entérine la généralisation du juge unique – contre trois actuellement, dont un juge assesseur nommé par le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR). Ainsi, la formation collégiale ne sera saisie que « pour les affaires complexes ».
Cette mesure faisait partie des revendications d’agents de la Cour, en grève en novembre dernier. La mise en place d’un juge unique aura pour effet « d’impacter la qualité des débats, des délibérés et des décisions », et portera « une atteinte grave au droit des requérants », avait déploré à InfoMigrants Sébastien Tüller, du syndicat Sipce.
Les grévistes dénonçaient aussi une « cadence infernale » imposée aux agents de la Cour, pour traiter le plus de dossiers possibles, avec des conséquences sur leur travail de vérification des récits. « Plus on bâcle notre travail, plus on passe à côté de choses importantes », avait insisté Sébastien Tüller. Elle a aussi un impact sur la vie des demandeurs d’asile, pour qui la réponse à leur dossier déterminera leur avenir en France.
La nouvelle loi déconcentre par ailleurs la CNDA en créant des chambres territoriales, c’est à dire des bureaux de la Cour en régions.
5/ Refus ou retrait d’un titre de séjour en cas de non-respect des « principes de la République »
Un étranger pourra se voir retirer ou refuser un titre de séjour s’il refuse de signer « un contrat d’engagement au respect des principes de la République », dans lequel il s’engage à respecter « la liberté personnelle, la liberté d’expression et de conscience, l’égalité entre les femmes et les hommes, la dignité de la personne humaine, la devise et les symboles de la République ».
Un demandeur qui refuse de signer ce contrat « ou dont le comportement manifeste qu’il n’en respecte pas les obligations » ne pourra obtenir aucun document de séjour.
6/ Obligation de quitter le territoire français (OQTF)
La loi valide la systématisation des Obligations de quitter le territoire français (OQTF) pour les étrangers déboutés de l’asile.
Une fois que la demande d’asile d’un étranger en situation irrégulière est rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), l’autorité administrative doit prendre à son encontre une OQTF dans un délai fixe, sauf si l’administration « envisage d’admettre l’étranger au séjour pour un autre motif ».
Cette mesure est assortie d’une suspension de la prise en charge médicale pour les étrangers déboutés définitivement du droit d’asile.
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Les députés ont aussi légalisé les OQTF contre huit catégories d’étrangers, protégés auparavant. Cela concerne les neuf catégories listées par l’article L611-3, notamment :
- Les étrangers arrivés avant l’âge de 13 ans sur le territoire national
- Ceux ayant des liens familiaux en France (parent d’un enfant français, conjoint d’un ressortissant français, marié depuis trois ans au moins avec une personne française)
- Les malades devant être pris en charge médicalement
- Les étrangers résidant régulièrement en France depuis plus de vingt ans
- Les ressortissants de pays membres de l’Union européenne
Le texte prévoit également qu’un étranger visé par une OQTF ne peut être hébergé au sein du dispositif d’hébergement d’urgence uniquement « dans l’attente de son éloignement ». En clair, tout étranger visé par une OQTF est donc exclu du droit à l’hébergement d’urgence. C’est le cas de nombreux migrants qui passent par les camps du nord de la France, par exemple. Une exception temporaire est prévue en cas de « situation de détresse suffisamment grave pour faire obstacle à son départ ».
7/ Déchéance de nationalité
La déchéance de nationalité sera prononcée pour les binationaux condamnés pour homicide volontaire contre toute personne dépositaire de l’autorité publique.
8/ Délit de séjour irrégulier
Le rétablissement du « délit de séjour irrégulier », supprimé en 2012 sous François Hollande, était qualifié d’inutile par le camp présidentiel. Mais la mesure a été retenue . Concrètement, si une personne en situation irrégulière est contrôlée par la police, elle s’expose au délit de séjour irrégulier et risque une amende de 3 750 euros et de trois ans d’interdiction du territoire.
9/ Regroupement familial
Le durcissement des conditions du regroupement familial voté par le Sénat se retrouve pour l’essentiel dans le texte final. Désormais, le demandeur devra justifier d’une durée de séjour sur le sol français de 24 mois (contre 18 auparavant), de ressources « stables, régulières et suffisantes » et de disposer d’une assurance maladie.
Si les autorités soupçonnent une demande de regroupement familiale frauduleuse, elles peuvent demander au maire de la commune où réside la personne demandeuse de vérifier « sur place des conditions de logement et de ressources », stipule la loi.
L’âge minimal du conjoint a été porté à 21 ans, et non plus 18 ans.
Pour prétendre à rejoindre sa famille en France, la ou les personnes concernées par le regroupement familial devront justifier d’une « connaissance de la langue française […] lui permettant au moins de communiquer de façon élémentaire, au moyen d’énoncés très simples visant à satisfaire des besoins concrets et d’expressions familières et quotidiennes ».
10/ Caution étudiants
La droite a obtenu l’instauration d’une caution à déposer par les étrangers demandant un titre de séjour « étudiant », visant à couvrir le coût d’éventuels « frais d’éloignement ». Les macronistes avaient pourtant combattu cette mesure constituant à leurs yeux « une rupture d’égalité » entre étudiants et risquant de fragiliser les étudiants internationaux.
Le montant de cette caution sera fixée en prenant compte « des critères d’éligibilité des étudiants aux bourses », indique la loi sans plus de détails.
Cette caution est restituée à l’étranger lorsqu’il quitte la France à l’expiration du titre de séjour. Elle est en revanche « définitivement retenue lorsque l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une décision d’éloignement ».
À savoir que le ministre de l’enseignement supérieur peut « dispenser de l’exigence de caution » un étudiant si « la modicité des revenus et l’excellence de son parcours scolaire ou universitaire le justifient ».
11/ Centres de rétention administratif
Malgré les réticences de la droite, l’interdiction de placer des étrangers mineurs en rétention figure dans le compromis final. Une mesure qui va dans le sens du droit international.
Ces dernières années, la France a été condamnée une dizaine de fois par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) pour avoir enfermer des mineurs dans les CRA.
12/ Quotas migratoires
Des quotas migratoires ont été adoptés mardi soir, pour plafonner « pour les trois années à venir » le nombre d’étrangers admis sur le territoire – hors demandeurs d’asile.
Considérée de prime abord comme inconstitutionnelle par le camp présidentiel, la mesure, comme la tenue d’un débat annuel sur l’immigration au Parlement, figure finalement dans la nouvelle loi.
Sources : https://www.infomigrants.net/