Le capitaine d’un navire commercial a été condamné en appel à un an de prison par la Cour de cassation italienne, pour avoir débarqué en Libye, sans en avoir informé Rome, une centaine de migrants qu’il venait de secourir en Méditerranée. La plus haute juridiction d’Italie a confirmé le jugement rendu en première instance et rappelle que renvoyer des migrants en Libye est illégal au regard du droit maritime international.
La Cour de cassation a mis fin à l’affaire de l’Asso Ventotto, appelé aussi Asso 28. Le commandant de ce navire commercial était poursuivi en Italie pour avoir renvoyé en Libye des migrants secourus en Méditerranée.
La plus haute juridiction du pays a confirmé la condamnation du capitaine Giuseppe Sotgiu, qui avait été reconnu coupable en première instance, en 2021, par un tribunal de Naples de violation du droit international. L’homme a, une nouvelle fois, écopé d’un an de prison, selon une information de l’agence de presse Reuters datée du 18 février.
Aucun appel aux autorités italiennes
Le 30 juillet 2018, le navire de ravitaillement Asso Ventotto avait porté assistance à 101 migrants – dont cinq mineurs et cinq femmes enceintes – en détresse près d’une plateforme pétrolière située dans les eaux internationales, au large des côtes libyennes. L’équipage et la société Augusta Offshore, propriétaire du navire, avait affirmé avoir contacté le centre de coordination des secours maritimes (MRCC) de Rome qui l’avait orienté vers le centre de commandement maritime libyen. Tripoli leur avait ensuite donné l’instruction de ramener les migrants sur son sol, en collaboration avec un représentant des garde-côtes libyens qui était monté à bord de l’Asso Ventotto.
Mais d’après des documents consultés par l’AFP, aucun appel n’a été passé au MRCC italien. De plus, selon le quotidien italien Avvenire, premier à avoir écrit sur cette affaire, le parquet de Naples n’avait trouvé aucune preuve que le MRCC libyen avait été alerté. Le registre du navire ne mentionnait pas non plus la présence d’un fonctionnaire libyen à bord, selon le journal.
Le parquet de Naples avait à l’époque estimé que rien n’avait été par fait par l’Asso 28 pour identifier les exilés, vérifier leur état de santé, si les mineurs étaient non accompagnés ou demander aux personnes secourues si elles souhaitaient demander l’asile. Autant de points en contravention avec les conventions internationales.
« La Libye n’est pas un pays sûr »
Pour les associations, ce jugement définitif fera jurisprudence dans d’autres affaires similaires. « Maintenant, il existe un précédent judiciaire qui confirme ce que nous disons depuis des années : la Libye n’est pas un pays sûr », a déclaré sur X (ex-Twitter) Mediterranea saving humans, une ONG de sauvetage en mer.
Le bureau italien d’Amnesty international a également salué le verdict et rappelé le droit. « Refouler les gens vers la Libye et collaborer avec les soi-disant garde-côtes [libyens] va à l’encontre de l’obligation de transporter les personnes secourues vers un endroit sûr », a insisté l’ONG.
Depuis 2016, l’Italie, avec la collaboration de l’Union européenne (UE), finance et forme les garde-côtes libyens afin d’intercepter les exilés en Méditerranée centrale en route vers l’Europe. Et ce, malgré les nombreuses critiques de violations des droits sur les migrants dans le pays.
Lorsqu’ils sont arrêtés en mer, les exilés sont envoyés en centre de détention, où ils sont exposés à la violence, la torture, l’extorsion ou encore le travail forcé. L’an dernier, une mission d’enquête de l’ONU sur la situation des droits humains en Libye confirmait que des crimes contre l’humanité avaient été perpétrés contre des migrants dans les prisons. « Nous ne disons pas que l’UE et ses États membres ont commis ces crimes. Mais le soutien apporté a aidé et encouragé la commission de ces crimes », a déclaré Chaloka Beyani, de la mission des Nations unies.
Depuis des années, InfoMigrants recueille régulièrement des témoignages de personnes faisant état de violences dans ces centres libyens. Amadi, un Malien de 24 ans, assurait en 2021 avoir été victime de brimades. « Les gardes nous traitaient mal : ils nous frappaient, sans aucune raison. Ils ouvraient la porte de la cellule et nous tapaient. Quand ils arrivaient, je me cachais au fond de la pièce pour ne pas être battu », confiait-il. Alpha, un Guinéen, avait confié en 2019 à la rédaction que des gardiens lui avaient tiré sur les pieds alors qu’il tentait de s’échapper du centre de détention.
Depuis 2016, date du premier accord entre l’Italie et la Libye, plus de 130 000 personnes ont été interceptées en mer et renvoyées en Libye. Dans le même temps, près de 16 000 exilés ont péri en Méditerranée centrale en essayant de rejoindre l’Europe. Cette route migratoire demeure la plus meurtrière au monde.
Sources : infomigrants.net