Alors que l’équipage de l’ONG allemande Humanity 1 procédait samedi au sauvetage d’exilés en détresse en mer, les garde-côtes libyens, armés, ont ouvert le feu. Dans la panique, plusieurs migrants se sont jetés à l’eau. L’un d’eux s’est noyé.
Sauvetage dramatique au large des côtes libyennes. Samedi 2 mars, les garde-côtes libyens ont ouvert le feu alors qu’une équipe de SOS Humanity procédait au sauvetage de migrants en détresse. L’un d’entre eux, qui s’était jeté à l’eau, est mort noyé.
Quelques heures plus tôt, l’avion de surveillance Seabird 2 avait donné l’alerte à l’ONG allemande. Les humanitaires se sont donc rendu au lieu indiqué, à 70 km des côtes libyennes, où dérivaient trois embarcations de migrants. « Les trois petits bateaux blancs en fibre de verre étaient dans un état similaire : tous surpeuplés, innavigables et exposés aux éléments, détaille le rapport de l’opération. Aucun d’entre eux ne transportait de matériel de sauvetage ou de navigation ».
C’est lors du lancement de la première opération de sauvetage, sur le premier canot, que les garde-côtes libyens, posté non loin de là, « se sont approchés à toute vitesse », explique à InfoMigrants Wasil Schauseil, en charge de la communication de l’ONG. Ils ont ensuite tiré « à balles réelles ». Sur une photo publiée par SOS Humanity, on peut voir deux garde-côtes portant des armes lourdes.
Les coups de feu ont effrayé les migrants. Nombre d’entre eux, paniqués, et ne voulant pas être interceptés par les Libyens, ont sauté dans l’eau. Puis les garde-côtes ont tiré une seconde fois, « à proximité des personnes qui étaient dans la mer ».
C’est à ce moment-là que l’une d’elle s’est noyée. Menacé par les garde-côtes libyens, les humanitaires ont été contraints de quittez la zone, laissant le cadavre à la mer.
« Tout le monde à bord est choqué »
L’équipage du Humanity 1 est tout de même parvenu à secourir 77 personnes, « tous des hommes, dont plusieurs sont mineurs », précise Wasil Schauseil. Mais « de nombreuses autres ont été forcées de monter à bord du bateau des garde-côtes libyens, séparant au moins six membres d’une même famille », indique l’ONG.
Le navire humanitaire fait actuellement route vers le port calabrais de Crotone pour y débarquer les naufragés, après protestations de l’équipage. Les autorités italiennes lui avait en effet assigné dans un premier temps le port de Bari, dans les Pouilles, plus lointain.
« À bord, la situation est stable, même si de nombreux naufragés ont souffert d’hypothermie, relate Wasil Schauseil. Surtout, tout le monde à bord est choqué par le comportement agressif et potentiellement mortel des Libyens ».
Les exilés interceptés par les garde-côtes, eux, ont été ramenés en Libye.
« Collision » et « coups de feu »
Ce n’est pas la première fois que l’ONG allemande est entravée dans ses activités par les garde-côtes libyens. Le 31 janvier, un patrouilleur leur appartenant s’est approché « dangereusement » du Humanity 1, frôlant la proue du navire. Le bateau libyen a ensuite fait deux fois le tour du navire humanitaire, « à une distance inférieure à 100 mètres ». Une manœuvre qui « aurait pu conduire à une collision, et expose le Humanity 1 et son équipage à un risque pour leur sécurité », dénonce le navire sur son site Internet.
D’autres ONG opérant en mer Méditerranée ont été témoins de pratiques similaires à celle du 2 mars. Il y a un an, les garde-côtes libyens ont tiré des coups de feu en l’air pour empêcher SOS Méditerranée de procéder au sauvetage d’une embarcation de migrants en détresse. Pour protéger ses équipes, l’Ocean Viking a « quitté les lieux à plein régime, alors que les garde-côtes libyens continuaient à tirer des coups de feu », indiquait l’association dans un communiqué.
Les 80 migrants entassés dans un canot pneumatique ont finalement été récupérés par les autorités libyennes et renvoyés dans le pays.
Un partenariat à 16 millions d’euros
Sur X, SOS Humanity a fustigé l’Union européenne (UE) et l’Italie, responsables selon elle de la mort de l’exilé tombé à l’eau. « Ce bateau [le patrouilleur libyen, ndlr] a été livré en Libye par l’Italie l’été dernier. Combien de temps l’Europe financera-t-elle les violations des droits de l’Homme à ses frontières extérieures ? Nous sommes indignés par ces pertes de vies humaines insensées et appelons l’Italie et l’UE à cesser immédiatement leur soutien aux soi-disant garde-côtes libyens ! », écrit-elle.
Depuis 2017, l’Italie, avec la collaboration de l’Union européenne, finance et forme les garde-côtes libyens afin d’intercepter les exilés en Méditerranée centrale en route vers l’Europe. Le partenariat entre Rome et Tripoli donne aussi aux autorités libyennes la charge de la coordination des sauvetages au large de leurs côtes, tâche qui incombait auparavant au centre de coordination de sauvetage maritime de Rome ou de La Valette, à Malte.
En mars 2023, le Conseil européen a par ailleurs renouvelé pour deux ans son soutien financier et matériel aux autorités libyennes. Lancé en 2020 et courant donc jusqu’au 31 mars 2025, le texte prévoit la formation des garde-côtes libyens et la livraison de navires afin d’empêcher les migrants de rejoindre le Vieux continent.
Il doit aussi « contribuer à la perturbation du modèle économique des réseaux de passage clandestin et de traites des êtres humains par la collecte d’informations et les patrouilles aériennes », peut-on lire sur le site de la Commission européenne. Montant total de l’opération pour l’UE ? Plus de 16 millions d’euros.
Lorsqu’ils sont arrêtés en mer, les migrants sont envoyés en centre de détention, où ils sont exposés à la violence, la torture, l’extorsion ou encore le travail forcé. L’an dernier, une mission d’enquête de l’ONU sur la situation des droits humains en Libye confirmait que des crimes contre l’humanité avaient été perpétrés contre des exilés dans les prisons. « Nous ne disons pas que l’UE et ses États membres ont commis ces crimes, a déclaré Chaloka Beyani, de la mission des Nations unies. Mais le soutien apporté a aidé et encouragé la commission de ces crimes ».
En 2023, environ 17 200 migrants ont été interceptés et renvoyés en Libye.
Sources: https://www.infomigrants.net/