Fosses communes en Libye : 30 ONG demandent à l’UE de mettre fin à son partenariat avec Tripoli

Après la découverte ces derniers jours d’au moins 93 corps de migrants enterrés dans des fosses communes dans le désert libyen, une trentaine d’organisations internationales ont appelé au « gel des financements » de l’Union européenne à la Libye. Depuis 2017, la Commission européenne collabore avec Tripoli afin d’empêcher les migrants de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Italie.
Les ONG tentent, une nouvelle fois, de faire pression sur la Commission européenne. Dans un communiqué publié mardi 18 février, une trentaine d’organisations internationales – dont CCFD-Terre solidaire, Human Rights Watch (HRW), Sea-Watch et plusieurs ONG de sauvetages en mer – réclament le « gel des financements » de l’Union européenne (UE) à la Libye.
Cette annonce fait suite à la découverte ces derniers jours de fosses communes dans l’est et le sud-est de la Libye, près de centres de détention non officiels. Les exilés étaient détenus de manière illégale par des trafiquants et soumis à des violences.
Depuis le 6 février, le décompte macabre des corps retrouvés dans le désert libyen n’en finit pas. Mercredi 19 février, le bilan faisait état de « 93 corps exhumés » dans les régions de Jikharra et de Kufra, selon la sous-secrétaire générale de l’ONU pour les Affaires politiques.
Mais ce chiffre pourrait continuer à évoluer. L’Institut national pour les droits humains en Libye a rapporté mardi que 64 corps avaient été trouvés par les équipes du centre médical d’urgence de Kufra. Une découverte encore non mentionnée par le procureur général de Libye mais qui pourrait faire grimper le bilan.
« L’UE doit prendre des mesures en Libye »
« À la lumière de ces nouvelles découvertes, et à la suite du rapport publié l’année dernière par la Cour des comptes européenne constatant l’échec des financements de l’UE en Libye face aux risques pour les droits humains, l’UE doit prendre des mesures en Libye », exhortent dans leur communiqué les ONG.

En 2017, l’UE a signé un accord avec la Libye dans le but d’empêcher les migrants de traverser la Méditerranée et de rejoindre l’Italie. À travers ce partenariat, sans cesse renouvelé, l’Europe donne concrètement aux autorités libyennes la charge de la coordination des sauvetages au large de leurs côtes (tâche qui incombait auparavant au centre de coordination de sauvetage maritime de Rome ou de La Valette, à Malte). L’Italie équipe et forme aussi les gardes-côtes libyens pour intercepter les exilés en Méditerranée.
Cette collaboration controversée est régulièrement dénoncée par les ONG et les instances internationales, en raison des dérapages, menaces, intimidations des autorités libyennes en mer contre les migrants et les humanitaires.
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En février 2022 par exemple, l’Organisation internationale des migrations (OIM) avait condamné l’attitude des autorités libyennes qui avaient tiré à balles réelles sur un canot de migrants qui tentait de leur échapper, tuant un passager et en blessant trois autres.
Par ailleurs, lorsqu’ils sont interceptés en mer et renvoyés sur le sol libyen, les migrants sont transférés dans des centres de détention, gérés par le Département de lutte contre l’immigration illégale (DCIM), où ils subissent des tortures, des violences sexuelles, de l’extorsion, et sont soumis à du travail forcé.

Dans son rapport, rendu public en septembre 2024 et analysé par le Guardian, la Cour des comptes européenne explique que les équipements financés par l’UE en Libye, comme les bateaux, pourraient être utilisés par des personnes « autres que les bénéficiaires prévus », tandis que les voitures et les bus financés par l’UE « pourraient avoir facilité le transfert de migrants » vers des prisons, « aggravant la surpopulation ». « Même après sept ans, et malgré les leçons apprises et un examen à mi-parcours, la Commission n’est toujours pas en mesure d’identifier et de rendre compte des approches les plus efficaces et efficientes pour réduire la migration irrégulière et les déplacements forcés en Afrique », tacle le rapport.
Les auteurs signalent aussi que les clauses permettant de geler les fonds de l’UE en cas de violation des droits de l’Homme ne sont « pas appliquées systématiquement », en particulier « en ce qui concerne la sécurité, la gestion des frontières ou d’autres activités sensibles ».
« Il est impératif de continuer à tout mettre en œuvre pour aider la Libye »
La trentaine d’ONG rappelle également que la Commission européenne a récemment annoncé avoir pris des mesures afin de réexaminer ses accords de financement avec la Tunisie, après des révélations sur les violations des droits perpétrées par les forces de sécurité tunisiennes, et appelle à faire de même avec leur voisin libyen.

« Il apparaît clairement que les financements de l’Union européenne, ainsi que d’États membres, dont l’Italie et la France, à la Libye, n’ont pas tenu leur promesse d’améliorer les conditions de vie des personnes cherchant à se mettre en sécurité », dénoncent les humanitaires. « Les sommes allouées à ces financements devraient plutôt être utilisées pour sauver des vies et permettre la mise en place d’alternatives aux voyages périlleux entrepris par les personnes qui fuient la Libye, en ouvrant des voies de passage sûr », plaident-ils.
Contacté par InfoMigrants, un porte-parole de la Commission européenne affirme que l’organisation a « pris note du rapport faisant état de cette constatation effroyable concernant les fosses communes », et « encourage vivement les autorités libyennes compétentes à assurer un suivi adéquat de ces cas ».
La Commission estime qu' »il est impératif de continuer à tout mettre en œuvre pour aider la Libye à mettre en place un système global de gouvernance et de gestion des migrations fondé sur les droits, en renforçant la capacité des acteurs libyens concernés à sauver des vies et à lutter contre les réseaux de passeurs qui profitent du désespoir des populations ». Selon l’institution, « se désengager [en Libye] ne conduirait pas à une amélioration de la situation ».
Sources : infomigrants
