Comme le reste de la population, les mineurs isolés étrangers vivant en France sont confinés depuis une semaine. Mais pour ces jeunes qui vivent en hôtels ou chez des hébergeurs, le confinement est une épreuve. Pour beaucoup d’entre eux, se protéger, s’occuper et poursuivre sa scolarité est à la limite de l’impossible.
Au téléphone, Ousmane* a la voix lente d’un adolescent qui s’ennuie. Depuis le 16 mars, ce Malien de 16 ans vit confiné avec une vingtaine d’autres mineurs isolés étrangers dans un hôtel du 18e arrondissement de Paris.
Avant que le président Emmanuel Macron ne décrète des mesures de confinement en raison de l’épidémie de Covid-19, Ousmane et ses camarades dormaient à Pantin, dans un hébergement collectif organisé par Agathe Nadimi et son association Les Midis du Mie. Face à la propagation du virus, il a fallu envisager autre chose.
« Depuis le 20 janvier, on se déplaçait de lieu en lieu. J’avais trouvé un plan pour loger les jeunes à Aubervilliers lundi dernier. Mais quand on a dû faire le déménagement, j’ai paniqué par rapport à l’épidémie. Il m’a semblé qu’on ne pouvait pas confiner les jeunes dans cet endroit. Du coup, on a tout stoppé et on a les emmenés à l’hôtel », explique Agathe Nadimi
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L’hôtel en question a l’avantage d’avoir une cuisine. Les jeunes peuvent se faire à manger mais, à deux par chambre et dans les étroits couloirs de l’établissement, la « distanciation sociale » prônée par les autorités est un vœu pieu.
Inoccupés toute la journée, les jeunes passent dans les chambres des uns et des autres. « On joue aux cartes. Parfois on capte Free Wifi mais ça ne marche pas bien. Tout le monde n’y a pas accès. C’est un peu compliqué. On a envie de sortir, d’aller à l’école, d’aller jouer au foot », raconte Ousmane.
Hébergement et nourriture
Pour les associations qui viennent en aide à ces mineurs arrivés seuls en France, lorsque le confinement a été décrété, l’urgence était de s’assurer que tous avaient accès à un hébergement et à de la nourriture.
Médecins sans frontières (MSF) suit des jeunes placés dans quatre hôtels parisiens. La plupart des hébergeurs citoyens de la structure Accueillons, mise en place par MSF et Utopia 56, se sont engagés à garder chez eux le jeune qu’ils accueillent. De son côté, la mairie de Paris a ouvert un gymnase pour les mineurs isolés mais reconnaît que seuls les jeunes reconnus mineurs y sont admis.
Il reste pourtant encore des mineurs isolés à la rue, et donc non-confinés. Le collectif Adjie (Accompagnement et Défense des Jeunes Isolés Étrangers), en a comptabilisés 25 à Paris rien que pendant le premier week-end de confinement.
Utopia 56, qui poursuit ses maraudes nocturnes, en repère également régulièrement dans le quartier Rosa Parks, à proximité de la porte d’Aubervilliers. « On envoie les mineurs que l’on trouve au commissariat. A partir de là, ils sont placés dans le gymnase ouvert par la mairie de Paris », explique Yann Manzi, membre de l’association.
« La grosse difficulté, c’est de faire respecter les gestes barrières »
L’autre enjeu du confinement des mineurs isolés, c’est de s’assurer que les mesures sanitaires sont bien respectées dans leurs lieux de vie. Là encore, la tâche est loin d’être simple.
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Pour garder des liens avec les jeunes hébergés et rappeler sans cesse les mesures à observer pendant le confinement, MSF a mis sur pieds des équipes mobiles avec des infirmiers et des assistantes sociales qui passent dans les hôtels où sont logés les mineurs. « Les assistantes sociales expliquent et réexpliquent aux jeunes pourquoi il y a urgence à rester confinés. On essaye de les suivre aussi bien psychologiquement que médicalement », détaille Corinne Torre, cheffe de la mission France de MSF.
Pour la responsable, « la grosse difficulté, c’est de faire respecter les gestes barrières » (lavage des mains, pas de contact, etc.) mais aussi d’empêcher les mineurs de sortir. « C’est très compliqué parce que les jeunes en recours [pour la reconnaissance de leur minorité, NDLR] sont dans l’attente de la décision du juge depuis des mois. Ils ont envie d’aller à école. En confinement, c’est terrible parce qu’ils n’ont plus accès à aucune activité », s’inquiète Corinne Torre.
S’occuper et s’éduquer… sans adulte
Ousmane est justement en attente de cette décision sur sa minorité. « Avant j’allais aux cours de français de la bibliothèque de Couronnes et aux cours de conversation de la rue d’Assas », regrette Ousmane. L’une des responsables des cours de la bibliothèque envoie à ses élèves des cours et des exercices le jeudi et le vendredi, explique le jeune homme. Mais, dans son hôtel, personne n’a d’ordinateur et la connexion internet est très aléatoire.
L’association Soul Food, qui propose généralement des sorties culturelles aux mineurs isolés étrangers, tente de garder le lien avec ses bénéficiaires confinés. Depuis une semaine, Kryssandra Heslop, cofondatrice de l’association et bénévole à l’Adjie, envoie aux 90 mineurs isolés de l’association des mails avec des liens vers des cours de français et d’anglais en ligne et des visites virtuelles de grands musées.
Mais, avec François Le Louarn, également cofondateur de l’association, elle raconte les difficultés rencontrées par les jeunes. « Ils n’ont pas de parents chez eux pour les aider. Pour avoir accès aux contenus, il faut avoir un ordinateur et pouvoir se connecter. Et, généralement, s’il n’y a pas un adulte pour insuffler le mouvement, il ne se passe pas grand chose. »
Mariam*, qui a eu 18 ans en novembre dernier, reçoit les mails de Soul Food depuis quelques jours. « Au début, c’était pour savoir comment se protéger du virus, ne pas sortir. J’ai reçu l’attestation dérogatoire pour sortir si besoin. Il y a aussi des liens de sites où je peux suivre des cours avec des personnes gratuitement. J’avais demandé des cours d’anglais pour débutants », détaille la jeune Guinéenne qui vit chez une dame à Pavillon-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
« Pour ceux qui approchent les 18 ans, c’est catastrophique »
Mais pour beaucoup de jeunes, la principale préoccupation reste leur situation administrative. Majeure depuis peu, Mariam avait rendez-vous à la préfecture le 16 avril. « Il me fallait d’ici là trouver un apprentissage et mon dossier devait être complet pour avoir une carte de séjour mais là ce n’est pas possible », s’inquiète-t-elle.
Agathe Nadimi entend tous les jours les inquiétudes des jeunes. « Certains attendent des papiers, d’autres une décision de recours, d’autres encore viennent d’être refusés. Un jeune, hébergé depuis des mois, avait une audience lundi matin, bien sûr elle a été annulée. Et pour tous ceux qui approchent les 18 ans, c’est catastrophique », s’alarme-t-elle.
Les jeunes « sont beaucoup plus préoccupés par la nécessité de maintenir la situation qu’ils avaient avant le coronavirus que par la situation actuelle », abonde François Le Louarn, de Soul Food. « Ils se disent qu’il ne faut pas qu’ils perdent ce qu’ils ont pu obtenir. »
Sources : https://www.infomigrants.net/