Le ministère de l’Intérieur britannique impose à ses agents de la police aux frontières se trouvant dans la région de Calais, en France, de relever les empreintes digitales des migrants interceptés lors d’une tentative de traversée de la Manche. Le but est de pouvoir les expulser plus facilement s’ils parviennent à rejoindre l’Angleterre.
C’est une pratique qui avait été abandonnée depuis des années : les agents de la police aux frontières britannique doivent désormais prendre les empreintes digitales des migrants essayant de passer en Angleterre en montant à bord des trains de l’Eurotunnel depuis le terminal de Coquelles, près de Calais.
Cette décision prise par le Home Office, l’équivalent du ministère de l’Intérieur en Angleterre, vise à faciliter les renvois vers la France de migrants qui peuvent potentiellement réussir la traversée de la Manche, en vertu du règlement de Dublin qui stipule qu’une demande d’asile doit être déposée dans le premier pays européen foulé par la personne concernée.
Lucy Moreton, secrétaire générale du ISU, un syndicat britannique représentant les agents en première ligne de la police aux frontières, s’inquiète de la violence que peut engendrer cette pratique et notamment le geste en lui-même. « C’est un véritable défi, en particulier si les migrants ne veulent pas que leurs empreintes soient prises » car ils savent qu’ils seront « dublinés », a-t-elle déclaré au micro de la BBC, mardi 9 juin.
« Les agents ne possèdent pas d’enregistreur numérique d’empreintes digitales. Nous n’avons que de l’encre. Il faut donc littéralement tenir leurs mains et écraser leurs doigts d’un bord à l’autre pour avoir une empreinte correcte », explique-t-elle, craignant que des migrants refusent de se laisser faire par crainte d’être dubliné et bloqué en France.
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Lorsque cette pratique était était encore en vigueur au port de Calais, avant 2010, de nombreux incidents violents « blessant à la fois les agents et les migrants » étaient à déplorer, selon la secrétaire générale du ISU. Bon nombre de migrants n’hésitaient pas, également, à « se blesser délibérément afin d’éviter que leurs empreintes soient prises », rappelle-t-elle. Certains appliquaient un mélange de colle et de produits chimiques sur le bout de leurs doigts, tandis que d’autres se les brûlaient pour effacer leurs empreintes digitales.
Interrogé par la BBC, le Home Office s’est contenté de marteler que toute personne fuyant les persécutions et la guerre était tenue de rester dans le premier pays sûr dans lequel elle est entrée. « Il n’y a aucune raison d’entreprendre ce périple souvent dangereux » pour venir demander l’asile en Angleterre, a-t-il déclaré. Le ministère a aussi ajouté que la police aux frontières avait effectué de solides évaluations des risques afin de minimiser les dangers pour ses agents comme pour les migrants.
« Une fabrique à sans-papiers »
« Prendre les empreintes n’empêchera pas les humains de passer. C’est juste une fabrique à sans-papiers », se désole, pour sa part, Gaël Manzi d’Utopia 56, joint par InfoMigrants. Et l’associatif de confier son « inquiétude » : « Cela va mettre une pression supplémentaire sur les migrants et permettre [aux autorités britanniques] de les renvoyer en toute impunité sans qu’ils ne puissent demander l’asile. »
Utopia 56 et plusieurs associations de défense des migrants militent depuis des années pour une réforme du règlement Dublin mais aussi pour une abrogation des Accords du Touquet. Ce texte adopté en 2003 puis élargi en 2018 prévoit notamment le renforcement des contrôles aux frontières et a permis de déplacement de la frontière britannique de Douvres au Royaume-Uni à Calais en France.
Réinstaurer la prise d’empreintes digitales à Coquelles est d’autant plus inutile, selon Gaël Manzi, que les migrants optent aujourd’hui davantage pour des traversées de la Manche sur des petits canots. « Il y a tellement de murs et de barbelés qui ont été érigés le long des routes que les passages par camions sont de plus en plus difficiles et se raréfient ».
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Depuis la mise en place du confinement en mars, plus de 1 000 migrants ont ainsi réussi à traverser la Manche en provenance du littoral français à bord de canots de fortune. La semaine dernière, un record de 166 migrants ont été interpellés par les autorités britanniques en une seule journée.
Selon les estimations officielles, le nombre de traversées de la Manche depuis le début de l’année a déjà dépassé le total de celles enregistrées sur toute l’année 2019. La ministre de l’Intérieur britannique, Priti Patel, avait promis l’année dernière que les traversées de la Manche deviendrait « un phénomène rare » d’ici au printemps 2020.
Sources : https://www.infomigrants.net/