Conséquence des transferts sur le continent, des expulsions et d’un contrôle accru aux frontières, la population migrante sur les îles grecques a diminué de 29,6% au cours des six premiers mois de 2020. Ce chiffre, dont Athènes se félicite, cache toutefois, selon les ONG, une réalité « toujours aussi sordide » dans des camps surpeuplés.
Sur les îles grecques, pour de nombreux demandeurs d’asile, l’heure est au départ. Plus de 12 000 migrants, qui vivaient jusqu’alors dans des conditions insalubres, ont quitté les cinq îles de la mer Egée où se trouvent des camps (Lesbos, Chios, Samos, Leros et Kios), en l’espace de six mois, a annoncé le ministre grec chargé des migrations, Notis Mitarachi, vendredi 7 août.
De 42 007, la population migrante, qui vit principalement dans des centres de réception et d’identification lourdement surpeuplés, est ainsi passée à 29 579, a précisé le ministre. Soit, une baisse de population de 29,6% entre janvier et juillet 2020. À la date du 9 août, ce nombre avait encore diminué selon les chiffres officiels, passant à 28 904 migrants (vivant dans les camps, mais aussi dans des centres de détention, des locaux du Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) ou d’autres ONG, etc.).
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Pour les autorités, cette annonce sonne comme une réussite, alors que les conditions de vie désastreuses dans cette partie de la Grèce, à l’origine de tensions, de violences et d’incidents, sont montrées du doigt depuis des années par les ONG. »Grâce à [notre] plan, nous sommes en train de tourner une page du problème migratoire », s’est félicité Notis Mitarachi, affirmant que cette baisse de population était le fruit d’une »politique migratoire équilibrée », selon des propos rapportés par le média anglophone Greek City Times.
« Diminution des tensions avec la population locale »
Sur le terrain, ces départs se font ressentir. »Il y a effectivement une diminution significative du nombre de migrants depuis le mois de janvier », confirme Astrid Castelein, représentante du HCR dans le camp de Moria, sur l’île de Lesbos, qui assure toutefois que les occupants restent malgré tout bien au-delà des limites acceptables : 13 603 migrants, rien que dans le camp de Moria, alors que les lieux étaient initialement prévus pour 2 800 personnes.
»Le point positif, c’est la diminution des tensions avec la population locale », observe Astrid Castelein. En février, l’annonce par le Premier ministre de la création de centres fermés avait mis le feu aux poudres. Échaudés par des années de cohabitation avec des camps insalubres sur un territoire étroit, les habitants avaient manifesté contre ces centres, entraînant l’abandon du projet. »Le fait qu’il y ait moins de monde aide à pacifier les relations avec les habitants, bien qu’il y ait toujours des tensions sous-jacentes », ajoute-t-elle, parlant de la situation comme d’une cocotte minute prête à exploser à la moindre occasion.
Casse-tête pour Athènes, la question des migrants a fait l’objet de mesures strictes ces derniers mois. La »politique migratoire équilibrée » vantée par le ministre Notis Mitarachi consiste notamment en un renforcement de l’arsenal grec de lutte contre les migrants illégaux. À commencer par le contrôle strict des frontières du pays, érigé au rang de priorité numéro un : »Depuis le 1er mars, il est beaucoup plus difficile d’entrer en Grèce illégalement », commente Astrid Castelein. De fait, les garde-côtes grecs n’hésitent plus à employer les grands moyens pour repousser les embarcations de migrants qui s’aventurent près des côtes, certains procédant même à des « tirs d’avertissement » avec des balles en caoutchouc.
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Ces contrôles s’étaient accrus en réaction à l’ouverture, fin février, du passage à la frontière turco-grecque, décidée unilatéralement par le président turc Recep Tayyip Erdogan en guise de chantage envers l’Union européenne. En réaction à un afflux de migrants dans cette zone, les autorités grecques avaient fait barrage et n’ont pas depuis relâché la pression.
Des dispositions nouvelles ont également été appliquées par Athènes aux migrants déjà présents sur le territoire. « Les obligations de quitter le territoire pour les déboutés du droit d’asile sont plus fréquentes et les délais plus courts », explique encore Astrid Castelein.
Pour le seul mois de juillet, quelque 1 030 migrants ont été expulsés de Grèce, que cela soit de force, de manière »volontaire », ou dans le cadre d’un programme européen destiné à relocaliser plusieurs centaines d’exilés mineurs dans différents pays, selon des chiffres du ministère des Migrations. Dix-huit mineurs non-accompagnés sont ainsi arrivés en Belgique la semaine dernière.
Surtout, cette baisse de population s’explique par la mise en place, attendue de longue date, du plan de décongestionnement des camps, qui a connu de nouveaux retards après l’apparition de la pandémie du coronavirus et les mesures de restrictions imposées par les autorités. En juin, les autorités avaient affirmé avoir transféré près de 14 000 personnes des îles vers la Grèce continentale.
»On ne résout pas un problème en en créant un autre »
Si ces transferts sont les bienvenus, les ONG sur place dénoncent un bémol de taille : pour rendre cette politique réalisable et accueillir ces personnes sur le continent, les autorités grecques ont sommé en juin quelque 11 000 réfugiés de quitter leurs logements actuels afin de réquisitionner ces habitations pour les nouveaux arrivants.
« Beaucoup d’entre eux n’ont eu d’autres choix que d’aller à la rue », explique Faris Al-Jawad, chargé de la communication en ce qui concerne les opérations de Médecins sans frontières (MSF) en Grèce. « Des familles et des personnes malades se retrouvent désormais à dormir dans Victoria Square », un parc du centre-ville d’Athènes.
»Le gouvernement a beau déplacer les gens vers le continent, cette façon de décongestionner les camps n’est pas une solution viable. On ne résout pas un problème en en créant un autre. », s’offusque Faris Al-Jawad, qui fait des aller-retours fréquents entre la capitale et les camps des îles, notamment celui de Moria »où la situation est toujours aussi sordide ». « Le confinement [qui ne cesse d’être prolongé dans les camps, NDLR] a détérioré l’état mental de beaucoup de migrants. De plus, les 6 000 enfants qui y vivent présentent des attitudes inquiétantes : ils font pipi au lit, ils ont des cauchemars, et certains ont même fait des tentatives de suicide », rappelle Faris Al-Jawad, peu impressionné par les efforts des autorités. « Non, la situation ne s’est pas améliorée. »
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Les autorités grecques ont par ailleurs accéléré le traitement des demandeurs d’asile, qui étaient au nombre de 126 000 en début d’année. Près de 100 000 dossiers sont toujours en cours de traitement.
Sources : https://www.infomigrants.net/