Près du parc de la Villette, à Paris, un centre d’hébergement d’urgence installé dans un hôtel Ibis accueille 330 personnes, majoritairement des migrants. Bien que reconnaissants d’être nourris et logés, plusieurs hébergés expriment leur frustration de ne pas pouvoir se débrouiller par eux-mêmes. Reportage.
Dans le nord de Paris, un imposant hôtel Ibis, situé à proximité du parc de la Villette, du canal de l’Ourcq et de bars branchés, a été transformé en centre d’hébergement d’urgence cet été. Ouverts le 5 août, les lieux, hauts de huit étages, accueillent 330 personnes, dont 182 migrants. « 203 hommes isolés, 51 femmes seules, 13 familles… » énumère, jeudi 10 septembre, Tania Ntamabiki, coordinatrice de l’association Coallia, en charge de la gestion.
Ces personnes ont été soit redirigées par le 115, soit amenées ici après le démantèlement de leur camp, soit transférées depuis l’hôtel CIS Kellermann, ancien hébergement du 13e arrondissement parisien qui a fermé ses portes le 15 août. Dernières arrivées en date : 69 migrants, pour la plupart somaliens, ont été pris en charge après avoir été évacués par les forces de l’ordre de la place de l’Hôtel de Ville, où ils avaient installé un campement le 31 août.
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Fruit d’un accord entre la chaîne hôtelière et la préfecture d’Ile-de-France, le centre dispose du confort d’un établissement de tourisme standard, d’un réfectoire dans lequel sont servis trois repas gratuits par jour ainsi que d’un service de nettoyage du linge de lit toutes les semaines. « Quand je suis arrivée ici, j’étais contente. On dort bien, on mange bien, on lave bien », dit Mariama Diawara, mère de trois enfants venue de Guinée Conakry, soulagée d’avoir du soutien médical et administratif pour sa famille.
« Ce n’est pas un hôtel ici »
Pourtant, malgré les apparences et l’enseigne rouge du groupe Accor qui trône sur la façade, un travailleur social précise que « ce n’est pas un hôtel ici ». « On essaie de remettre les personnes sur les rails », dit-il. « L’idée c’est que les hébergés aient un cadre et qu’ils avancent dans leurs démarches pendant qu’ils sont là », ajoute sa collègue. À savoir, la régularisation de leur situation et la recherche d’un lieu de vie plus pérenne.
En termes de cadre, les entrées et sorties sont contrôlées : pas de sortie après 20h, pas d’entrée après minuit. Découcher pendant plus de 48 heures est par ailleurs interdit, sous peine de perdre sa place. « S’ils sortent toute la nuit et dorment la journée, on ne les voit pas », justifie-t-on.
Vivre obligatoirement à deux par chambre fait aussi partie des conditions. « On ne fait d’exception pour personne », assure Tania Ntamabiki, qui explique que cette organisation a également pour but de forcer les résidents à aller les uns vers les autres et d’éviter le communautarisme. « Il y a des demandes qui reviennent régulièrement : ‘Je ne veux pas être dans la chambre avec un arabe parce que ce sont des voleurs’, ‘Je ne veux pas être avec un noir parce qu’ils sont sales’, ‘Je ne veux pas d’Afghan’, ‘Je veux être avec un musulman’. On refuse systématiquement : cela fait partie de l’apprentissage et de l’insertion sociale. Et, au final, ça se passe très bien. »
« Ta dignité, elle est à terre »
Cette organisation stricte en laisse certains perplexes. À 37 ans, Zizka*, grand gaillard arrivé du Gabon en 2015, ne veut pas passer pour quelqu’un qui « fait la fine bouche ». Il a déjà été hébergé dans des centres de moins bon « standing » avant. « Bon, on ne va pas se plaindre, j’ai conscience qu’on est peut-être privilégiés, on n’est pas à la rue. On ne va pas se mentir, on a de la chance », commence-t-il, planté au milieu d’une petite chambre avec deux lits une place, une télé branchée sur BFM et une salle de bain. « Mais ce n’est pas forcément facile de se lever et d’avoir quelqu’un qui te dit quand et quoi manger, c’est gênant. Je préfère gagner ma nourriture moi-même. Ça te touche un peu. Ta dignité, elle est à terre. »
Zizka a perdu son travail dans la manutention en novembre dernier et n’a plus pu payer l’appartement qu’il sous-louait. En situation irrégulière, il essaie d’obtenir un titre de séjour mais ce dernier est conditionné par l’envoi de fiches de salaire.
« J’aimerais travailler, poursuit-il. Je ne sais pas combien l’Etat dépense pour nous loger ici mais je pense que ce serait plus simple de régulariser les gens. On est là, on ne fait rien, alors qu’on pourrait travailler, payer des impôts, se trouver un studio, être indépendants. »
Subventionnée par l’Etat, la prise en charge de ces personnes – au nombre maximum de 336 – coûtent 60 euros par tête et par jour. Un prix « relativement correct comparé aux coûts des solutions d’urgence qui peuvent être utilisées lorsqu’une personne est laissée sans hébergement », précise Nordin Sedkaoui, directeur de l’unité territoriale de Coallia à Paris.
« On ne sait pas si demain on sera à la rue encore »
Le colocataire de Zizka, Obiri Emmanuel – « comme Emmanuel Macron » – dit, quant à lui, être fatigué. Ce Ghanéen de 30 ans aussi espère un titre de séjour mais ne se fait pas d’illusion. « L’Etat sait que tu n’as pas de fiches de paie, et c’est pour ça qu’ils les demandent. Il veut toi dans le trou », jette-t-il dans son français rapide.
Davantage que fatigué, Obiri Emmanuel est furieux après « 8 ans à gauche à droite ». « On ne sait pas si demain on sera à la rue encore. » Être sans papier, au-delà de représenter un frein à l’emploi, est vécu comme une étiquette douloureuse. « On n’est pas des personnes. On ne peut pas trouver une femme. Si une femme voit que t’as pas de papier, toi t’es poubelle », lance-t-il encore, assurant faire son possible pour garder « la tête froide » afin qu’elle « n’explose pas ».
Il n’est pas le seul à attendre de pouvoir travailler pour pouvoir commencer une vie à lui. Après plusieurs années à la rue, Karfala Dramé, le mari de la Guinéenne Mariama Diawara, rêve d’un logement individuel et, donc, de gagner de l’argent par lui-même. « Je ferais n’importe quoi comme travail », dit cet homme de 43 ans qui bataille, lui aussi, avec l’administration pour obtenir un droit de séjour.
En attendant, cette famille vit dans deux chambres séparées, l’établissement n’étant pas équipé d’endroits adaptés aux groupes de plus de deux personnes. Assis à une table dans l’entrée du centre, Karfala Dramé suit du regard le premier enfant de sa femme, âgé de 8 ans. Ce petit garçon n’est pas scolarisé en cette rentrée 2020 car sa mère et son beau-père n’ont pas pu fournir d’adresse de domiciliation. Une occasion, s’il en faut, de leur rappeler qu’ici ils ne sont qu’hébergés.
Sources : https://www.infomigrants.net/