La ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, a donné instruction aux préfets d' »accélérer » et « faciliter » la naturalisation française des ressortissants étrangers qui se sont mobilisés « en première ligne » durant la pandémie de Covid-19. Une mesure difficile à appliquer tant les préfectures françaises sont saturées.
Agents de nettoyage, infirmiers, médecins, manutentionnaires … Les ressortissants étrangers en “première ligne” lors du pic de la pandémie de Covid-19 en France pourraient voir leur accès à la nationalité française “facilité”. Pour eux, la durée minimale de résidence en France exigée sera de deux ans, au lieu des cinq années requises actuellement.
Mardi 15 septembre, Marlène Schiappa a donné instruction aux préfets d' »accélérer » et de « faciliter » l’acquisition de la nationalité française pour les étrangers en situation régulière qui ont “contribué activement, en première ligne, à la lutte contre le Covid-19, notamment les personnels de santé. La ministre déléguée à la Citoyenneté voudrait qu’ils procèdent à « un examen prioritaire et individualisé de ces dossiers ».
L’État français souhaite ainsi « reconnaître l’engagement des personnes qui ont pris une part active dans la lutte contre le Covid-19 », précise le texte envoyé aux préfectures. « Certaines personnes étrangères se sont mobilisées et se sont particulièrement exposées pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Elles ont activement participé à l’effort national, avec dévouement et courage », ajoute Marlène Schiappa.
Une annonce qui “laisse de côté les travailleurs sans titre de séjour, eux aussi, en première ligne lors de cette crise sanitaire”, alerte Maryline Poulain, responsable de la section immigration de la CGT, contactée par France 24. Le syndicat s’attendait à des annonces de régularisation, pressenties après une mobilisation du cabinet de l’ex-ministre de l’Intérieur Christophe Castaner au début de l’été.
Gérald Darmanin s’oppose à une récompense pour les sans-papiers
“Pendant la période du confinement, nombre de ces sans-papiers ont tenu à bout de bras des secteurs d’activités essentiels. Ils ont travaillé dans le nettoyage, la manutention, la mise en rayon, la livraison, la sécurité ou l’aide à la personne. Ils ont pris des risques pour leur santé, avec des répercussions sur leurs familles, et ils retombent dans la clandestinité comme si de rien n’était”, déplore Maryline Poulain. La CGT dénonce un rétropédalage du gouvernement sur la question.
En cause, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, est venu couper l’herbe sous le pied de la ministre déléguée à la Citoyenneté, Marlène Schiappa, fin août. D’après des informations du journal Le Monde, cette dernière a envoyé un télégramme aux préfets à la fin de l’été, les invitant à faire preuve de “discernement” vis-à-vis des candidats à une régularisation. Un message démenti en l’espace de quelques heures par le cabinet de Gérald Darmanin. “Du jamais vu”, selon une source préfectorale.
L’annonce des naturalisations en récompense aux efforts des travailleurs engagés dans le combat contre le Covid-19 devait être initialement accompagnée par celle d’une régularisation des sans-papiers engagés dans cette même lutte. Mais le nouveau chef de la place Beauvau, qui semble vouloir faire de la lutte contre l’immigration clandestine son cheval de bataille, n’est pas prêt à céder sur la question.
“L’approche de l’État français est d’être dans une sorte de ‘récompense’ de ce qui serait considéré comme une forme d’intégration. Mais il ne facilite pas cette intégration en laissant des personnes dans une situation irrégulière, alors qu’elles travaillent en France depuis des années, parfois dix à quinze ans”, regrette la Cimade, qui considère l’annonce de Marlène Schiappa comme une avancée malgré tout.
Une logique de tri
Jointe par France 24, cette association de soutien aux migrants dans leurs démarches administratives critique une « logique de tri ». “Sur quel critère va-t-on être considéré comme travailleur de ‘première ligne’ ? Va-t-on distinguer la femme de ménage hospitalière, de celle qui aura travaillé en entreprise ? Et que dire de celui qui aura nettoyé les wagons de métro de la RATP ?”, se demande Lise Caron, responsable des questions liées au droit au séjour à la Cimade.
L’autre difficulté réside dans l’application de cette circulaire. Une fois l’instruction délivrée, légalement les préfets ne sont pas tenus de la mettre en œuvre, souligne la Cimade. “Chaque préfet pourra faire comme il l’entend”, explique Lise Caron.
Aucun rendez-vous disponible en préfecture
Sans compter que pour les étrangers en situation régulière, qui auront le privilège de bénéficier de cette mesure, il faudra s’armer de patience. Dans les préfectures, les rendez-vous pour déposer un dossier de naturalisation sont à un niveau de saturation record. Il est tout simplement impossible d’effectuer la démarche dans plusieurs administrations de France. “Pour certaines personnes cela prend plusieurs mois, pour d’autres des années”, alerte Lise Caron.
Pour obtenir un rendez-vous, il faut en principe passer par le site internet de la préfecture, qui est censé fixer une date. Mais l’association d’aide aux migrants a constaté de graves dysfonctionnements. Elle s’appuie sur des données récoltées à l’aide d’un robot qui tente de prendre des rendez-vous en ligne, comme le ferait une personne souhaitant déposer son dossier en préfecture.
D’après ces statistiques, aucune prise de rendez-vous n’est possible à la préfecture de Seine-Saint-Denis, à Bobigny, pour une demande de naturalisation. Même constat pour la préfecture de Haute-Garonne à, Toulouse. « Certaines personnes passent des nuits entières à tenter d’obtenir un rendez-vous et ça peut durer des semaines », rapporte la Cimade, qui espère que cette annonce de Marlène Schiappa sera suivie de moyens, sans quoi la promesse d’accélérer l’accès à la naturalisation pourrait bien rester lettre morte.
Sources : https://www.infomigrants.net/