Existence d’un centre pour migrants secret en Pologne : « Nous ne voulons pas d’un Guantanamo dans nos forêts »
Le député polonais Tomasz Aniśko est l’un des rares à avoir pu visiter le centre de rétention de Wędrzyn en Pologne, perdu en pleine forêt, où sont rétenus les migrants venant de Biélorussie. Les civils, dont les ONG, les journalistes et les avocats, n’ont pas le droit d’y accéder.
Pour le député polonais Tomasz Aniśko, l’actuelle crise migratoire biélorusse rappelle le « chemin de fer clandestin », une expression utilisée pour qualifier les routes clandestines empruntées par les esclaves afro-américains à la fin de la guerre de Sécession pour fuir l’oppression dans le sud des Etats-Unis.
Il fait ce parallèle puisque depuis des mois, des migrants d’Irak, de Syrie ou encore d’Afghanistan sont poussés à emprunter des routes clandestines entre la Biélorussie et l’Allemagne afin d’éviter d’être interpellés, notamment par les autorités polonaises.
Et ceux qui ne parviennent pas à passer sous les radars risquent de se retrouver bloqués en Pologne.
Des centaines de personnes ont ainsi été emmenées dans un camp militaire polonais près de la ville de Wędrzyn, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière allemande. Les journalistes, avocats et ONG sont interdits d’y entrer et les migrants n’ont pas le droit de sortir du camp. Ils sont quasiment coupés du reste du monde.
Tomasz Aniśko, député membre du parti des Verts en Pologne, a pu y accéder, une semaine après une émeute au sein de la structure. Pendant sa visite, qui a duré environ six heures, il a constaté de nombreux manquements, à commencer par une absence d’accès aux soins médicaux.
« Ils me montraient leurs blessures comme si j’étais médecin »
« Cette visite a été très difficile pour moi », assure Tomasz Aniśko. « La plupart de ces personnes sont des migrants arrivés en Pologne ces derniers mois. Vous avez devant vous 600 personnes qui ont toutes traversé des moments traumatisants. Beaucoup ont des problèmes de santé. Cela a été difficile d’être là, au milieu de dizaines d’hommes me montrant leurs cicatrices, leurs blessures aux yeux et à la bouche. Sans même y réfléchir, ils me montraient leurs cicatrices comme si j’étais un médecin. »
Le député note également que le camp ne propose quasiment aucun suivi psychologique.
« Les migrants ne comprennent pas, ne connaissent pas le droit polonais »
À Wędrzyn, les migrants sont rétenus pendant trois mois en attendant que les demandes d’asile soient examinées. Mais à cause de la lenteur de la procédure, cette durée peut être prolongée de trois mois supplémentaires. « Ils ne savent pas ce qui va leur arriver », explique Tomasz Aniśko. « Ils ne comprennent pas leur statut légal, ne connaissent pas le droit polonais. Ils ne savent pas combien de temps ils vont devoir rester ici et ce qui va leur arriver ensuite. Cette situation est totalement intolérable pour tout être humain. »
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Le député ajoute n’avoir rencontré qu’une poignée de migrants ayant les moyens financiers de s’offrir une assistance juridique. La police des frontières polonaise, qui est en charge du site, assure pourtant que chaque migrant peut avoir accès à l’aide juridique proposée par les ONG. Mais selon Tomasz Aniśko, ce droit ne serait que théorique.
« Des ONG n’ont probablement même pas connaissance de l’existence de ce camp et des besoins qui existent. Elles sont très occupées par la situation à la frontière avec la Biélorussie et j’imagine qu’elles n’ont plus de forces vives pour venir ici et s’occuper de ces gens », estime Tomasz Aniśko.
Le député cherche ainsi à persuader des personnels soignants, des psychologues et des avocats de s’engager. « La situation à Wędrzyn est désespérée et j’espère que des médecins vont répondre à l’appel et offrir leurs services. »
« Des centres ouverts, mais au milieu de nulle part »
Nancy Waldmann, une journaliste basée en Allemagne, a décrit début octobre les conditions de vie à Wędrzyn. Elle a réussi à s’approcher du site entouré d’une clôture surmontée de barbelés, en passant à pied par la forêt. Elle dit avoir vu des hommes jouer au football sous le regard de gardiens en uniforme.
D’après Nancy Waldmann, les autorités polonaises affirment que les migrants ont accès à internet. Mais en réalité, selon Tomasz Aniśko, la connexion serait extrêmement mauvaise, voir quasi inexistante.
« Ils n’ont pas de livres, aucun accès à internet. Il n’y a pas de télévision. Il n’y a rien à faire là-bas. Ils sont enfermés, à 25 par chambre. Ils dorment dans des lits superposés. La cour extérieure est minuscule et entourée de barbelés », raconte-t-il.
« Beaucoup de choses pourraient être améliorées si la police faisait preuve de bonne volonté. Mais j’ai l’impression que les directives reçues par leurs supérieurs hiérarchiques ne les poussent pas à faire quelconque effort pour rendre le temps que les migrants passent ici plus acceptable », peste Tomasz Aniśko.
Si une demande d’asile n’a toujours pas été tranchée au bout de six mois, les migrants sont transférés vers d’autres centres à travers le Pologne – où ils sont libres de sortir durant la journée.
Toutefois, selon Tomasz Aniśko, la plupart de ces centres sont très isolés et se trouvent loin des agglomérations. « Vous pouvez certes sortir et passer le portail, mais vous vous retrouvez au milieu de nulle part, donc vous ne pouvez pas faire grand chose de cette liberté. On m’a dit que 80% des personnes vivant dans ces centres ont à un moment donné tenté de s’enfuir pour essayer de rejoindre l’Allemagne. Très peu de ces personnes ont l’intention de rester en Pologne et la police des frontières ne fait rien pour les faire changer d’avis. »
Le député assure néanmoins qu’il ne veut pas entrer en conflit avec la police aux frontières polonaise. « Nous voulons apporter l’aide qu’ils ne sont pas en mesure de proposer avec nos propres ressources, grâce à des bénévoles et des personnes qui se sentent concernées par le bien-être des migrants. Nous ne voulons pas avoir une autre Guantanamo dans les forêts de Pologne ».
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Source: https://www.infomigrants.net